Municipales : la grève des urnes

La forte abstention, qui a surtout profité aux listes de droite et du Front national, marque la démobilisation de l’électorat de gauche et son désaveu de la politique du gouvernement socialiste.

Michel Soudais  • 25 mars 2014 abonné·es
Municipales : la grève des urnes

Dans les jours précédents le scrutin, plusieurs candidats de gauche avaient confié craindre plus une colère sourde de leur électorat qu’une « vague bleue », dont ils assuraient ne pas ressentir les prémices. La colère était bien réelle et a pris la forme d’une abstention record : 38,72 % en métropole. Cinq points de plus qu’en 2008 !

Ces abstentionnistes sont principalement des moins de 35 ans. Diplômés bac ou bac +2, + 3, selon un sondage Ifop réalisé dimanche auprès de 2 760 personnes inscrites sur les listes électorales dans des communes de plus de 1 000 habitants. L’institut pointe aussi une abstention de 50 % chez les ouvriers. Autre enseignement de cette étude : l’abstention affecte davantage l’électorat de la gauche : 43 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2012 et 33 % des électeurs de François Hollande n’ont pas pris part au vote, contre 28 % des électeurs de Nicolas Sarkozy. Ce que confirme la géographie électorale.

L’abstention atteint des sommets dans les villes populaires d’Île-de-France : 61,05 % à Stains et plus de 50 % dans 20 autres villes du 93, 57,37 % aux Mureaux, 57,84 % à Vitry-sur-Seine, 61,44 % à Villiers-le-Bel… Et dans des villes du Nord : 61,58 % à Roubaix, 55,11 % à Tourcoing, 52,56 % à Lille… Par son ampleur dans les bastions de gauche (qu’atteste également un examen détaillé des résultats par bureau de vote), il n’est pas interdit de parler de « grève des urnes ». Traduction d’un profond mécontentement à l’égard du gouvernement, fondé sur des récriminations certes diverses mais bien ­politiques : (re)fiscalisation des heures supplémentaires, gel des salaires de la fonction publique et de toutes les retraites, hausse persistante du chômage… Une défection qui ne peut être ramenée à une simple « lassitude » des électeurs.

Les premiers à en faire les frais sont les candidats socialistes qui ont subi dimanche une véritable claque. Si Laurent Fabius, Michel Sapin ou Claude Bartolone, qui se présentaient comme simples conseillers municipaux dans leur ville, sont réélus dès le premier tour, le PS recule quasiment partout d’une bonne dizaine de points. Gérard Collomb à Lyon (35,8 %) et François Rebsamen à Dijon (44,3 %), réélus au premier tour en 2008 avec respectivement 53,1 % et 56,2 %, devront attendre le second tour. Tout comme Johanna Rolland (34,5 %), qui succède à Nantes à Jean-Marc Ayrault (55,7 % en 2008). À Lille, Martine Aubry est en ballottage favorable, mais avec 34,9 % contre 46 % en 2008. Le PS, qui a perdu dix-huit villes dès le premier tour, dont Niort et Clamart, pourrait en perdre une quarantaine encore dimanche, dont Pau, Reims, Quimper, Amiens, Valence, Toulouse et Strasbourg.

La grève des urnes des électeurs de gauche fait à l’inverse le succès de la droite. Sans vraiment progresser en voix, ce qui serait la marque d’une adhésion à son projet, les candidats UMP ou UDI sont très fréquemment devant la gauche. La plupart, dont beaucoup avaient été en difficulté en 2008, sont réélus dès le premier tour : Alain Juppé à Bordeaux, Jean-François Copé à Meaux, Christian Jacob à Provins, Xavier Bertrand à Saint-Quentin, André Santini à Issy-les-Moulineaux… Et Jean-Claude Gaudin est en passe de conserver son fauteuil à Marseille.

Ces succès de la droite sont toutefois masqués par le retour du FN sur la scène des municipales, le parti frontiste voit l’élection de son secrétaire général à Hénin-Beaumont (50,26 %). L’électorat de Marine Le Pen à la présidentielle, qui à 40 % s’est abstenu, s’est fortement mobilisé dans les villes où le FN présentait des listes. En position de se maintenir dans 229 villes de plus de 10 000 habitants, le parti d’extrême droite est en tête dans 17 d’entre elles, mais ne sera vraisemblablement en mesure de l’emporter que dans une poignée : Fréjus et Saint-Gilles notamment, ainsi qu’à Béziers où il a six candidats sur la liste de Robert Ménard. Il vise surtout une implantation locale avec l’élection d’un millier de conseillers municipaux. Un objectif modeste, déjà à moitié atteint avec l’élection dimanche de 473 conseillers municipaux sur près de… 168 000. Dont 2 036 conseillers municipaux du Front de gauche.

Dans un contexte où plus que le « tous pourris » c’est le « tous pareils » qui alimente la démobilisation des électeurs, les listes du Front de gauche (FG) et d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) résistent d’autant mieux qu’elles se sont démarquées des socialistes. C’est flagrant à Grenoble, où EELV et le PG étaient ensemble. Vrai aussi à Évry, ville de Manuel Valls, où le FG obtient 15,1 %. En revanche, à Avignon, où la liste du FG (12,5 %) était menée par un vice-président PCF du conseil général socialiste, elle perd 1,7 point par rapport au score du seul PCF en 2008. Selon le Parti de gauche, les 600 listes autonomes du Front de gauche rassemblent en moyenne 11,43 %. Le résultat moyen des 95 listes EELV quand les écolos se présentaient seuls est de 9,69 %. Et de 15,31 % pour les 82 listes communes à EELV et au FG. Une voie à creuser.

Politique
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…