Syndrome de Batman

Le monologue d’un adolescent schizophrène, superbement interprété par Thomas Blanchard.

Anaïs Heluin  • 6 mars 2014 abonné·es

Matthieu vit son adolescence comme on traverse un désert. Sans rien sentir d’autre que le vide, l’absence. Sa mère, il l’appelle « la femme qui ne voulait pas être la maman ». Au chômage depuis peu, son marin pêcheur de père ne peut plus cacher à sa famille qu’il aime les hommes. La mère ne le supporte pas. La sœur non plus, qui préfère passer son temps avec « la vieille dame arabe du bout de la petite ville » plutôt que de respirer l’air douteux du foyer. Matthieu, lui, se retrouve seul. Et, pour supporter ça, il fait de Batman son ami imaginaire, avec qui David Léon le fait converser tout au long d’ Un batman dans ta tête.

Comme le Horla de Maupassant ou le Mr Hyde de la fameuse nouvelle de Robert Louis Stevenson, ce Batman conduit Matthieu à la folie, puis à la mort. C’est d’ailleurs depuis l’au-delà que parle le protagoniste d’ Un batman dans ta tête. Mais cela, on ne le comprend pas tout de suite. Fragmentaire, fait d’une succession d’images enfouies qui resurgissent sans ordre apparent, le texte de David Léon est un flux de paroles trop démentes et sublimes pour appartenir tout à fait à notre monde. Par moments, pourtant, l’extrême lucidité du narrateur quant à son état mental ramène celui-ci vers une logique plus classique, à laquelle on peut s’identifier. Cette oscillation, la metteuse en scène Hélène Soulié l’exprime à travers une image unique : celle d’un jeune homme (Thomas Blanchard) dans une baignoire, à moitié habillé. A priori tout simple, anodin, ce tableau se révèle au fur et à mesure du monologue chargé de significations et de zones d’ombre.

Face à la baignoire, un miroir géant ** donne à voir la pâleur cadavérique et l’air hagard du comédien sous tous les angles, morts compris. Les changements d’inclinaison du miroir découpent le texte en plusieurs épisodes. Sans unité thématique, tous marqués par la schizophrénie d’un Matthieu-Batman aux contours changeants, ces différents moments tiennent avant tout au talent de Thomas Blanchard. Selon la position du miroir, le comédien se compose un jeu plus ou moins hystérique, plus ou moins lunatique. À force de dialoguer avec son Batman, de boire et de se droguer comme le Holden Caulfield de l’Attrape-cœurs, Matthieu ne parvient plus à percevoir son corps comme une unité. Il se pense multiple et invincible, capable par exemple de sauter à la figure d’un train sans se faire de mal. «  La faute à qui  ? », interrogent Hélène Soulié et Thomas Blanchard, en visant à demi-mot un monde d’adultes empêtré dans une profonde crise du lien.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes