Venezuela : l’équilibre de la violence

L’incapacité du gouvernement à résoudre les pénuries et l’échec de l’opposition à gagner les classes populaires entretiennent un conflit sans fin. Correspondance à Caracas, Jean-Baptiste Mouttet.

Jean-Baptiste Mouttet  • 20 mars 2014 abonné·es
Venezuela : l’équilibre de la violence

Depuis un mois et demi, Caracas, la capitale du Venezuela, est le théâtre des mêmes scènes de violence. La place Altamira et ses environs, dans la municipalité aisée de Chacao, voient se dresser des barricades. Des jeunes préparent des cocktails Molotov, le visage caché derrière des foulards. En contrebas, les forces de l’ordre attendent le signal derrière des boucliers transparents : lancer d’explosifs, envoi de lacrymogènes, parfois des jets d’eau. L’affrontement dure jusqu’à la nuit tombée. Une fois dans l’obscurité, les manifestants se dispersent sous la pression de la garde nationale. Dimanche soir, l’armée est intervenue pour tenter de déloger les contestataires.

À quelques pâtés de maisons de la place, la ville est paisible. Ces affrontements peuvent ­pourtant vite basculer dans l’horreur, comme à Valencia, dans le nord du pays, où, le 12 mars, deux civils et un fonctionnaire de la garde nationale bolivarienne ont été tués par balle. Depuis le début des manifestations, 28 personnes ont été tuées. La procureure générale, Luisa Ortega Diaz, a déclaré que, sur les 365 blessées, 109 étaient membres des forces de l’ordre.

L’opposition dénonce les forces de sécurité et les « colectivos » armés, des organisations soutenant la révolution bolivarienne, tandis que le gouvernement, lui, pointe du doigt la violence des manifestants.

L’opposition n’est pas prête à relâcher la pression. Chaque semaine, dans tout le pays, des marches sont organisées, les ­étudiants bloquent des routes et distribuent des tracts. Le soir, surtout depuis les ­quartiers les plus riches, résonnent les « cacerolazos » , des protestations qui consistent à frapper des casseroles depuis sa fenêtre.

Le mouvement a débuté sur un fait divers. Les étudiants de la ville de San Cristobal, au nord-ouest du pays, ont pris la rue en réaction à une tentative de viol sur leur campus. La maison du gouverneur a été attaquée. Les arrestations qui ont suivi n’ont fait que renforcer les revendications à l’encontre d’un gouvernement jugé « répressif » . Et les mots d’ordre se sont peu à peu élargis à tous les maux actuels du Venezuela : les pénuries (28 % des produits manquaient en janvier, selon la Banque centrale du Venezuela), l’inflation (+57,3 % en un an), l’insécurité (16 000 homicides en 2012, selon le ­gouvernement, 22 000 selon ­l’Observatoire de la violence).

Ce n’est que le 14 février que les politiques sont entrés en scène, appelant à leur tour à manifester. Mais ils n’ont jamais été bien loin. Beaucoup des leaders étudiants sont proches de tel ou tel parti de l’opposition, à l’image de Juan Requesens, conseiller municipal de Baruta et président de la Fédération des centres universitaires de l’université (publique) centrale du Venezuela, acquise à l’opposition.

En première ligne, Maria Corina Machado, députée, et Leopoldo Lopez, dirigeant du parti Volonté populaire, tous deux garants d’une ligne dure de la coalition de l’opposition, la MUD (Table de l’unité démocratique). Ils appellent explicitement à la « sortie » du ­gouvernement. La courte victoire de Nicolas Maduro en avril dernier puis l’obtention des trois quarts des municipalités en décembre ne sont toujours pas digérées. Les deux opposants ne sont pas disposés à attendre les élections législatives, fin 2015, ni l’éventuel référendum révocatoire en 2016.

« Durant les quatre dernières semaines,  [les membres de l’opposition] ont mis en pratique une forme spéciale de coup d’État contre la démocratie vénézuélienne » , assurait le 14 mars le président Nicolas Maduro. Le gouvernement craint que l’épisode d’avril 2002, quand Hugo Chavez a dû quitter le pouvoir durant quarante-huit heures sous la pression de l’opposition, ne se répète. Les protagonistes se ressemblent. Maria Corina Machado était la signataire du décret mettant fin à la révolution bolivarienne, Leopoldo Lopez jouait un rôle actif dans les appels à la mobilisation. Le dirigeant de Volonté populaire a été arrêté pour incitation à la violence à la suite des manifestations du 12 février, endeuillées par trois morts. Il s’est lui-même rendu aux forces de l’ordre, accompagné de ses partisans, théâtralisant ainsi son arrestation.

« Nous critiquons la mauvaise gestion politique, nous ferions de même pour n’importe quel gouvernement » , se défend Juan Quintana, président du centre étudiant de l’université privée Alejandro-de-Humbolt, un des rares à défendre l’indépendance du mouvement étudiant vis-à-vis des politiques.

Malgré des opinions divergentes, depuis mi-février, ce sont les politiques les plus radicaux qui tiennent le haut du pavé. Henrique Capriles, qui était le meneur de la MUD, se présentait comme modéré, il a perdu deux élections présidentielles (octobre 2012, puis avril 2013) et n’a pas participé à la manifestation du 14 février. Capriles est passé au second plan et tente aujourd’hui de rattraper son retard médiatique. Il répète que le mouvement doit gagner les classes populaires et tacle, au passage, les deux autres opposants : « Eux s’adressent aux classes moyennes et aux classes aisées, pas moi » , nous confiait-il, ravi d’apporter les preuves de son appartenance à une « gauche » modérée. À Caracas, ce souhait demeure un vœu pieux.

Dans les manifestations, sous les affiches listant les biens de première nécessité manquants, il est rare de rencontrer des personnes ­descendues des quartiers populaires, les « barrios » . Les manifestations partent toujours de l’est aisé de la capitale. Dans le quartier du 23 de Enero, symbole de la démocratie et berceau du chavisme, la critique contre le gouvernement est pourtant plus vive qu’il y a un an : « On ne trouve plus rien, ni café, ni huile, ni papier… Des files d’attente, si, ça, il y en a », s’énerve Kevin à l’ombre d’une maison biscornue. « Il manque beaucoup de choses et, plus que tout, la sécurité, mais cela fait à peine un an que Nicolas Maduro a été élu » , tempère Alex, tout en montant son stand de vente de légumes.

Aucun des deux n’ira manifester, ni pour un camp ni pour l’autre. Le maraîcher évoque sa crainte de revenir quinze ans en arrière, durant la IVe République, avant les programmes sociaux, les missions lancées par Hugo Chávez.

De l’autre côté de la ville, à Petare, l’un des plus grands «  barrios  » d’Amérique latine, Nestor Segovia, membre d’un conseil communal, pouvoir local d’assemblées d’habitants, confirme que des «  cacerolazos  » se sont fait entendre et que quelques barricades ont même été montées : « Mais dans les parties habitées par les classes moyennes. C’est une lutte des classes, une provocation des plus riches contre les pauvres. » Nestor Segovia s’emporte contre la MUD, qui refuse la main tendue de Nicolas Maduro. Alors qu’Henrique Capriles a accepté un débat avec le gouvernement, la coalition opposante, elle, n’a pas assisté à la conférence nationale de paix du 26 février, organisée par le gouvernement.

La solution pourrait venir de l’étranger. Le président colombien, Juan Manuel Santos, s’est proposé comme médiateur. Mais, pour l’instant, le continent choisit son camp. Nicolas Maduro peut compter sur ses appuis traditionnels – l’Équateur, la Bolivie, ­l’Argentine, ­l’Uruguay, le Brésil, mais aussi le Chili de Michelle Bachelet – et sur les organisations intergouvernementales comme l’Unasur et l’Alba. L’opposition, elle, bénéficie du soutien du Panama, des États-Unis et de l’Organisation des États américains (OEA).

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