Carolis, ambassadeur de Siam

Ce « Grand Tour » entre la Thaïlande et le Cambodge déploie des moyens fastueux pour un résultat quelconque et une forme documentaire contestable.

Jean-Claude Renard  • 10 avril 2014 abonné·es

Le voyage s’ouvre au château de Versailles, où demeure dans les réserves un tableau de Jean-Léon Gérôme illustrant la visite d’une ambassade du roi de Siam, Rama IV, à Napoléon III, au château de Fontainebleau, le 27 juin 1861. Pour Patrick de Carolis, c’est assez pour inviter le téléspectateur à le suivre sur les traces du souverain, entre la Thaïlande et le Cambodge, dans un nouvel épisode du « Grand Tour », estampillé « documentaire culturel », attirant à chaque diffusion entre 2,8 et 3 millions de personnes.

Vêtu d’un costard chic et décontracté, Patrick de Carolis se fait donc guide. D’abord au Palais royal de Bangkok, avant d’entrer dans les méandres d’un vaste temple afin d’assister à l’ordination d’un novice. En voix off, il commente en père tranquille la cérémonie ; un professeur de bouddhisme ajoute sa leçon de pédagogie. Puis un pas de côté sur les premières imprimeries du pays, sous Rama IV, permettant d’enseigner le bouddhisme. Seconde étape à Nakhon Pathom, célèbre pour son édifice bouddhiste le plus haut du monde, culminant à 127 mètres. Des plans aériens disent la monumentalité des lieux. Carolis donne une lecture des fresques retraçant l’histoire du temple, explique face caméra la pratique des offrandes et la fabrication des feuilles d’or. Retour à Bangkok auprès de Laurent Couson, musicien résidant dans la capitale thaïlandaise, entraînant Carolis dans une visite guidée des petits quartiers, entre « tradition et modernité », entre « la finance et ceux qui n’ont rien », façon Guide Vert Michelin. Toujours sur les traces de Rama IV, passage dans les anciennes capitales, Sukhothaï et Ayutthaya. Nouveaux plans aériens sur les temples, longs panoramiques, et place au volet animalier avec des éléphants dressés pour un spectacle, avant un autre retour à Bangkok pour une incursion dans le Wat Pho, abritant un monumental Bouddha couché, suivi encore d’un passage en banlieue, vers un autre temple, raconté par Robert Bougrain-Dubourg, restaurateur. Puis un nouveau détour par les salles de boxe thaïe où figurent deux Français (deux frères) parmi les meilleurs au monde. Enfin, ultime retour au Palais royal pour évoquer l’itinéraire d’Henri Mouhot, botaniste et naturaliste, avant de gagner le Cambodge, que l’explorateur visita à la fin du XIXe siècle. Une première étape à Oudong, où règnent encore les traditions de l’orfèvrerie, une seconde à Phnom Penh, où Carolis, sémillant, sur un bateau de croisière traversant la région, un brin pédago, s’accompagne de Jean-Michel Filippi, professeur de linguistique, pour revenir sur la présence française passée, encore visible dans la capitale. Et ce « Grand Tour » de s’achever par les temples d’Angkor, nouvelle occasion de longues prises vues du ciel, livrant l’immensité du site, sur lequel Azzedine Beschaouch, architecte, et Olivier Cunin, archéologue, apportent une pincée d’observations. Une fin qui donne l’impression que Patrick de Carolis s’est joliment promené. En fringant ambassadeur. Où le téléspectateur ressort frustré et perplexe de cette balade étirée sur deux heures.

Pas un mot sur les révoltes populaires qui ont marqué la Thaïlande l’hiver dernier, un montage fait d’allers et retours sans logique, d’incursions incongrues, un focus sur la boxe thaïe vue par des compétiteurs français et leur entraîneur, et, in fine, un recours systématique aux expatriés français pour avancer dans la visite, plutôt qu’un Thaï ou un Cambodgien. De l’abus des images vues du ciel aux interventions externes, il ne ressort pas grand-chose. Sinon un programme spectaculaire dont le budget s’élève à 680 000 euros (contre 300 000 euros en moyenne sur une pareille grille), que justement dénonce le syndicat CGC Médias à France Télévisions. Écrit, présenté, produit par Patrick de Carolis, à travers sa propre maison, Anaprod, en contrat direct avec France Télévisions. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. C’est aussi ce qui vaut à l’ancien président de France Télévisions d’avoir un dossier pour « favoritisme et prise illégale d’intérêt » chez le juge Van Ruymbeke. Tout ça pour ça.

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