Une France jacobine, sécuritaire et libérale

Le projet politique de Manuel Valls pour le pays interroge sur sa conception du socialisme. Libéral, européiste et autoritaire, le Premier ministre confirme ses affinités droitières.

Denis Sieffert  • 17 avril 2014 abonné·es

Beaucoup de nos concitoyens gardent encore le goût amer du débat nauséabond sur l’identité nationale de janvier 2011. Éric Besson, transfuge du Parti socialiste, promu ministre de l’Immigration par Nicolas Sarkozy, était à la manœuvre. À un peu plus d’un an de la présidentielle, la gauche était vent debout contre cette initiative. Pas Manuel Valls. Pris d’un violent prurit droitier, celui qui n’était alors que maire d’Évry et député de l’Essonne adoptait une position ambiguë, conseillant même aux socialistes de « s’emparer, du débat ». Un débat qui, disait-il, « est au cœur de l’actualité et des préoccupations des Français ». Il relayait ce débat mortifère au sein de la gauche. Aujourd’hui, le nouveau Premier ministre répondrait sans doute que tout cela appartient à la « préhistoire », comme il l’a dit à propos de son hostilité aux 35 heures ou de sa préconisation d’abandonner le mot « socialiste ». « Préhistoire » ? Pas si sûr.

La gauche sécuritaire, c’est lui. Manuel Valls incarne l’homme à poigne, l’élu local qui ne craint pas de prendre la gauche à revers sur la sécurité. Quand Nicolas Sarkozy lui a proposé de rejoindre son gouvernement en 2007, il a décliné. Il soutient que « la sécurité n’est ni de gauche ni de droite » (France 2, 23 janvier). Maire d’Évry, il s’est montré farouche opposant à la dépénalisation du cannabis et fervent partisan de la police municipale et de la vidéosurveillance. À l’Intérieur, il a impulsé pour les policiers un nouveau code de déontologie, une réforme de la police des polices et du renseignement, et l’instauration de zones de sécurités prioritaires (ZSP). Il a par ailleurs défendu le démantèlement des camps de Roms et fait annuler à Nantes la représentation d’un spectacle de Dieudonné. Il a également demandé au préfet Patrice Bergougnoux, conseiller « sécurité » de François Hollande pendant la campagne présidentielle, d’inventer la police républicaine de demain.

Concernant la réforme pénale, qui l’a vu s’opposer à Christiane Taubira, Manuel Valls joue l’apaisement et soutient qu’elle mettrait « fin au laxisme de la loi Dati ». FO-Pénitentiaire (très sécuritaire) s’est associé à l’Institut pour la justice (à droite) ainsi qu’à Alliance, syndicat de police (également à droite), et aux maires de Fleury-Mérogis (divers gauche) et de Réau (Debout la République) pour réclamer le retrait de ce projet. Une réforme qui entend poser le principe de l’individualisation des peines en supprimant les peines planchers, créer une nouvelle peine exécutoire, « la contrainte pénale », et éviter les sorties « sèches » de prison. Il doit être débattu en juin.

Nous sommes là dans ces zones grises situées aux confins de la droite la plus musclée et de certains courants du Parti socialiste. Et, après le discours de politique générale de Manuel Valls, nous y sommes toujours, même si l’homme se fait plus discret et si les mots sont davantage retenus. Il ne déplaît pas au nouveau Premier ministre d’incarner ce qu’on pourrait appeler une « gauche autoritaire ». Il ne s’agit pas seulement là de son tropisme sécuritaire d’ancien « premier flic de France », mais de tout un corpus idéologique dont il a précisé les contours dans sa déclaration. À son grand référent habituel – Clemenceau –, Valls a ajouté le 8 avril Jaurès et de Gaulle. Clemenceau et Jaurès, celui qui a envoyé la troupe contre les mineurs en grève de Courrière et celui qui l’a vigoureusement combattu, le « Tigre » et le pacifiste : voilà bien une synthèse audacieuse digne d’un mauvais congrès du Parti socialiste ! Consensuelle, son évocation des grandes pages de l’histoire l’est tout autant quand il cite Valmy, 1848 et le maquis. La mythologie ultra-classique du républicanisme. Plus surprenante pour un homme qui se réclame de la gauche, son allégeance admirative aux institutions de la Ve République. On avait connu avec Mitterrand un socialiste qui s’était accommodé de l’héritage institutionnel du général de Gaulle, Manuel Valls, lui, va plus loin.

Si l’on ajoute à cela son insistance à dénoncer « la fracture communautariste », moins comme une conséquence de la crise sociale que comme un phénomène endogène, on en revient à l’identité nationale. Et pas n’importe laquelle si l’on rapproche tout ça de son dérapage dans les allées d’une brocante d’Évry, en 2009, lorsqu’il avait souhaité que l’on ajoute sur la photo « quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ». Ou encore, le 24 septembre 2013, de sa sortie sur les Roms « qui ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie » parce qu’ils ont des modes de vie « en confrontation » avec les nôtres. Nous ne sommes plus là dans l’héritage du très jacobin Jean-Pierre Chevènement, mais dans une vision beaucoup plus essentialiste de l’identité. Si ce n’est pas le fond de sa pensée, c’est au moins l’idée qu’il se fait de ce que souhaitent ses électeurs. Une idée qu’il n’hésite pas à flatter. De même, quand il rappelle à l’Assemblée sa naturalisation de jeune Catalan, pas un mot pour sa culture d’origine. L’a-t-il oubliée ? L’a-t-il abjurée ou reniée ? C’est l’impression qui est donnée. Une conception plus proche de l’assimilation que de l’intégration.

Cette partie du discours de Valls pourrait donner à penser que nous avons affaire à un souverainiste centraliste autoritaire, voire à un nationaliste au plus mauvais sens du terme. Mais, comme nous l’analysons dans les autres pages de ce dossier, ce personnage – qui est loin d’être une fiction – se combine avec un autre, tout aussi réel lui aussi : le libéral européiste. L’homme de la compétitivité, qui, de fait, tient les salaires et l’emploi pour des variables d’ajustement. Le républicaniste exalté est le plus souvent un antilibéral, si bien qu’il n’a pas tous les défauts. Ici, hélas, ce n’est pas le cas… Au total, cela ne fait peut-être pas le portrait d’un homme ni l’aveu de ses convictions, car il faut faire la part du plan de com’ et du profilage politique que ses amis de RSCG ont pu penser avec lui ou pour lui. Mais cela fait un projet politique inquiétant pour notre pays, pour les minorités et pour les salariés.

Publié dans le dossier
La France rêvée de Manuel Valls
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