Une transition à gros bénéfices

Réduire les consommations, traquer le CO2, basculer vers les renouvelables, donner du pouvoir aux instances locales : une politique énergétique ambitieuse aurait d’importantes vertus économiques, écologiques et sociales.

Patrick Piro  • 3 avril 2014 abonné·es

Elle figure au nombre de ses promesses clés, il l’a répété lors de la conférence environnementale de septembre dernier puis de ses vœux 2014 : pour François Hollande, la loi sur la transition énergétique sera « l’un des textes les plus importants du quinquennat ». Huit mois après le Débat national sur la transition énergétique, il a pourtant fallu attendre la semaine dernière pour voir le ministre de l’Écologie, qui pilote le processus, livrer ses premières propositions. Idées-forces : la création d’un « budget carbone » fixant les volumes d’émissions à ne pas dépasser lors des trois prochains quinquennats, via une « stratégie nationale bas carbone », ou encore une programmation pluriannuelle de l’énergie. Plusieurs mesures sont à l’étude – efficacité énergétique, réforme du soutien aux énergies renouvelables, compétences des collectivités, révision de certaines prérogatives d’EDF, notamment dans le nucléaire.

Cependant, ces documents n’ont pas fait l’objet de discussions interministérielles, et ils pourraient être largement remaniés par la nouvelle équipe gouvernementale annoncée. D’autant plus qu’ils ne comportent encore aucun objectif : quels engagements de réduction du CO2, quelle part pour les renouvelables, quel calendrier pour la réduction des consommations ? Il y a urgence : le gouvernement compte faire bonne figure pour fin 2015, quand la France recevra le sommet annuel des Nations unies sur le climat. Le projet de loi doit être présenté au Conseil des ministres mi-juin pour un débat parlementaire à l’automne et une adoption espérée fin 2014. Redoutant que le contenu ne soit pas à la hauteur, lassé des annonces contradictoires et des tergiversations, un collectif de neuf organisations environnementalistes [^2] a pris la plume pour proposer un « vrai projet de loi sur la transition énergétique ». Son ambition dépasse largement la réduction des émissions de carbone, priorité qui domine l’ébauche actuelle (et qui donne un rôle avantageux au nucléaire) : il entend livrer « une vision pour l’avenir de la France » avec des réponses durables aux problèmes du climat (diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050) et de l’approvisionnement énergétique, mais aussi des retombées économiques et sociales ^3. Il s’agit de réduire fortement la facture des importations de combustibles fossiles (70 milliards d’euros par an), de faire naître plus de 600 000 emplois d’ici à 2030, de sortir cinq à huit millions de Français de la précarité énergétique, de mettre en valeur les ressources des territoires (gisements éolien, solaire, marin, etc.), de réduire la pollution de l’air, de réorienter des secteurs entiers de l’activité économique (transport, bâtiment…). Et à dose d’utopie réduite : les rédacteurs ont voulu traduire concrètement les conclusions du Débat national sur la transition énergétique de 2013 – qui regroupait notamment des industriels, des syndicats, des représentants du gouvernement, des parlementaires, des scientifiques, des associatifs. « Notre document découle à 80 % de leurs propositions consensuelles, souligne Anne Bringault, chargée de mission pour le RAC et le Cler. Les 20 % restants résultent de nos propres arbitrages sur les points qui font débat. » Sans excès non plus puisque, dans le domaine du nucléaire, il s’agit de programmer la fermeture de vingt réacteurs pour appliquer la promesse de François Hollande de ramener de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025. Les autres grands objectifs de cette « vraie loi » : pour 2030, réduire de 45 % les émissions et de 35 % la consommation d’énergie, de porter à 45 % la part des renouvelables et à 750 000 par an les rénovations thermiques « haute performance » dans les logements.

Pour cela, les associations préconisent notamment le retrait du marché des appareils les moins performants (dans l’électroménager, notamment), l’obligation d’isoler lors de travaux importants dans un logement, l’abandon des grands projets autoroutiers et aéroportuaires, le soutien aux transports collectifs et à faible impact, la limitation de la vitesse sur route, la lutte contre l’étalement urbain en aidant à l’acquisition de logements neufs proches des dessertes collectives, la simplification des procédures et le maintien des aides financières pour les unités de production d’énergie renouvelable, l’élimination des avantages fiscaux aux énergies fossiles (20 milliards d’euros par an, dont les aides au diesel et au kérosène). Ce texte alternatif envisage aussi une banque dédiée, qui délivrera des prêts à taux réduits pour les projets estampillés « transition énergétique ».

[^2]: Dont le Réseau action climat (RAC), France nature environnement, Agir pour l’environnement, le Réseau pour la transition énergétique (Cler), la LPO, etc.

[^3]: www.rac-f.org/Transition-energetique-Le-VRAI 

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L'aveuglement
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