À quoi sert le Parlement européen ?

Devenue colégislatrice, l’institution a largement soutenu les politiques néolibérales de l’UE. Et la droite, majoritaire, y a été aidée par les socialistes qui la cogèrent avec elle.

Michel Soudais  • 15 mai 2014 abonné·es
À quoi sert le Parlement européen ?

Àquoi les députés européens ont-ils employé leur mandat ? Qu’est-ce que le Parlement européen a fait pour nous ? À ces légitimes questions que se posent les électeurs, les promoteurs de la construction européenne mettent volontiers l’accent sur les derniers « progrès » apportés par l’Union européenne dans la vie quotidienne (supposée) de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. La baisse du coût des communications lors de nos déplacements dans l’UE et les pénalités imposées aux transporteurs aériens en cas de surbooking ou de perte de bagages figurent en bonne place des messages publicitaires destinés à convaincre les électeurs de l’importance du scrutin. Ce n’est pas faux.

Les parlementaires européens se prononcent sur nombre de textes, qu’ils peuvent amender, touchant à la protection des consommateurs ou fixant des normes communes afin d’empêcher toute concurrence déloyale ou protectionnisme caché. C’est ainsi qu’après s’être penchés dans le passé sur le confort des poules pondeuses, la définition du chocolat ou la courbure des concombres, les eurodéputés pourraient prochainement avoir à se prononcer sur le bon volume des chasses d’eau, dont la Commission veut limiter à 5 litres le réservoir. Mais le rôle des parlementaires européens ne se limite pas à cette « normalisation » du marché unique. Au fil des traités, le Parlement a acquis des pouvoirs qui en font « désormais un colégislateur à parts égales avec le Conseil, et ce dans des domaines de plus en plus étendus », rappellent Bernard Cassen, Hélène Michel et Louis Weber dans un essai pédagogique (1). Pour qu’un règlement ou une directive soit adopté, il faut le plus souvent que le Parlement et que le Conseil des ministres s’accordent à la virgule près. Ces pouvoirs, même incomplets, permettent déjà aux eurodéputés de peser sur les politiques publiques. Ce qu’ils n’ont pas manqué de faire au cours des cinq années passées. Dans la mandature écoulée, le Parlement européen a largement soutenu les politiques néolibérales proposées par la Commission européenne et adoptées par les vingt-sept gouvernements (vingt-huit depuis l’adhésion de la Croatie au 1er juillet 2013) réunis en Conseil des ministres. La droite conservatrice et libérale y étant majoritaire, ce soutien n’aurait rien d’étonnant si les socialistes européens du groupe Socialistes et démocrates (S&D) n’y avaient prêté la main, reconduisant une cogestion marquée par le partage de la présidence du Parlement, exercée deux ans et demi par le Polonais Jerzy Bucek, membre du PPE, l’Allemand Martin Schülz (S&D) lui succédant à la moitié de la mandature. À peine élu, le Parlement reconduisait José Manuel Barroso à la présidence de la Commission, malgré son bilan calamiteux, décrié jusque dans les rangs conservateurs. Réélu au scrutin secret avec une confortable majorité absolue de 382 voix (219 contre et 117 abstentions), l’ancien Premier ministre portugais a bénéficié de l’appui d’un nombre important de députés socialistes européens, alors même que le groupe présidé par Martin Schülz avait décidé de s’abstenir pour ne pas entraver la réélection. Le même, quelques semaines plus tard, se félicitait que José Manuel Barroso ait « reconnu l’importance de sa famille politique » en lui attribuant 3 des 7 vice-présidences de la Commission. On retrouve trace de cette cogestion dans les votes de deux paquets de règlements et directives qui, plus que tout autre texte, ont marqué la mandature en subordonnant le cœur des politiques nationales aux politiques européennes. Au nom d’une « coordination budgétaire » présentée comme indispensable, ces « paquets », connus sous le nom de « Six-pack » et « Two-pack », encadrent et orientent assez autoritairement les politiques économiques et sociales des États membres, jusqu’à donner force de loi à la « règle d’or budgétaire » sous peine de sanctions. En résumé, ils instituent une procédure dite du « semestre européen » qui fait obligation aux États de présenter au 30 avril leur « programme national de réformes » à la Commission, laquelle leur fait en retour des « recommandations ». Sur cette base, les États élaborent leurs budgets, qui peuvent être amendés par la Commission en fin d’année. Les textes de ces deux « paquets » ont largement été approuvés, tant par les députés des groupes conservateurs (PPE) et libéraux (ALDE), que par ceux des groupes S&D et Verts, malgré quelques menues réserves des socialistes et des écolos.

C’est également d’un commun accord que la droite et les socialistes ont accepté, en novembre dernier, un budget européen pour 2014-2020 en baisse de 3,7 % pour les crédits d’engagement et de 3,5 % pour les crédits de paiement ; une austérité refusée par les Verts et la gauche. Quand la construction européenne se résume essentiellement à des reculs économiques et sociaux, le Parlement y prend sa part. Parmi les nombreux textes votés, citons l’invitation faite aux États de reculer l’âge de départ en retraite et de développer les systèmes de retraite par capitalisation, ou encore un quatrième paquet ferroviaire ouvrant la concurrence au trafic voyageurs d’ici à 2022… Le bilan est un peu plus reluisant sur les questions touchant aux discriminations. Le 4 février, le Parlement approuvait largement le rapport Lunacek, une «   feuille de route de l’UE contre l’homophobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre » sans valeur législative. En 2010, il a voté un amendement portant de 14 à 20 semaines le congé maternité ; il attend encore d’être approuvé par le Conseil. Mais a rejeté deux rapports sur les droits des femmes : le rapport Estrela, qui reconnaissait un droit à l’avortement, et le rapport Zuber, qui pointait la responsabilité de l’austérité dans l’accroissement des inégalités femmes-hommes.

Si le Parlement européen n’a toujours pas le pouvoir de proposer des règlements et directives, il a cette faculté de rejeter les textes proposés. Cette faculté est d’autant plus ignorée qu’il n’en a fait qu’un usage parcimonieux. En deux mandatures, les exemples sont rarissimes : le 6 juillet 2005, les députés européens ont enterré une directive, très controversée, relative à la brevetabilité des logiciels. Ils ont également retoqué, par deux fois, une directive libéralisant les services portuaires, en novembre 2003 et janvier 2006. Plus récemment, les eurodéputés ont rejeté, le 11 mars, à une quasi-unanimité (650 voix contre 15), un projet de règlement de Commission censé « simplifier » la commercialisation des semences. Le texte était contesté, pour des raisons opposées, par les deux principaux producteurs de semences, lesquels contrôlent environ 60 % du marché européen, et les micro-entreprises, y compris les non-professionnels et les particuliers qui produisent actuellement des variétés de semences agricoles en dehors du cadre industriel. Le Parlement a également un autre pouvoir : celui d’adopter ou de rejeter les traités contractés au nom de l’UE. Les eurodéputés en ont usé le 4 juillet 2012 en refusant l’Acta. Ce traité multilatéral sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle, négocié par une quarantaine de pays dans le plus grand secret, avait un contenu liberticide. Le futur accord de partenariat transatlantique sur le commerce et les investissements (connu sous les noms de TTIP ou TAFTA) pourrait connaître le même sort. À condition que la majorité qui, en mai 2013, avait autorisé l’ouverture des négociations (PS, UMP et MoDem ont voté pour) soit modifiée par le scrutin du 25 mai. Pour tous les opposants à ce projet commercial, c’est une bonne raison d’aller voter.

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