Amendement

Donc le gars confirme qu’il a pratiqué une censure. Et que c’est courant à Libé .

Sébastien Fontenelle  • 1 mai 2014 abonné·es

La semaine dernière, la direction du journal Libération a censuré – après l’avoir déjà interdite quinze jours auparavant – la fameuse chronique hebdomadaire de Pierre Marcelle, « No Smoking », au motif que l’effronté mec réagissait dans ce texte à de récentes proférations de deux collaborateurs de Libé  : Bernard Guetta (sourires) et Alain Duhamel (rires). À ce dernier (qui éditocratise, rappelons-le, depuis l’an de grâce 1325), Marcelle reprochait notamment d’avoir, dans une chronique consacrée aux prochaines élections européennes, amalgamé dans un même opprobre (et selon un procédé qui est hélas devenu, depuis quelques années, tristement banal) la cheffe du Front national et le coprésident du Parti de gauche, en pronostiquant: « Le Pen aboiera, Mélenchon éructera. »

Plus vastement, Marcelle déplorait que, neuf ans après l’ahurissant battage médiatique qui avait précédé le référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, les propagandistes du « oui » n’aient rien perdu de leur « morgue » de l’époque : c’est après avoir lu cela que sa chefferie, jugeant que ce mot (parmi quelques autres) était « insultant » pour MM. Guetta et Duhamel, a fait le choix de censurer sa chronique, qui aurait normalement dû paraître le vendredi 25 avril. Puis, dans le Libé du 28 avril, le directeur, Fabrice Rousselot, a expliqué [^2] : « La direction de la rédaction a tout d’abord demandé à Pierre Marcelle d’amender sa chronique, ce qui est pratique courante auprès de tous les chroniqueurs. C’est après son refus qu’il a été décidé de ne pas la publier. »

Donc, le gars confirme qu’il a effectivement pratiqué une censure – mais, ce que j’ai trouvé le plus intéressant, c’est le passage où il suggère que la direction de Libé intervient assez couramment auprès de ses chroniqueurs, comme si c’était somme toute quelque chose d’assez normal, parce que chez nous, à Politis, non. Chez nous, c’est pas une « pratique courante ». Moi, par exemple, le chef Sieffert m’appelle pas tous les trois lundis pour me dire : hey, Buddy, faut maintenant que t’arrêtes de dire qu’Alain Duhamel a écrit son premier éditorial au XIVe siècle et que Manuel Valls est de droite – amende-toi vite, veux-tu, ou je vais sortir mes grands ciseaux.

Alors que moi, franchement ? Ça ne me gênerait pas du tout de mieux tempérer mon propos, et de considérer plutôt qu’il peut certes arriver que les pratiques et propos de M. Valls et des membres de son gouvernement rappellent d’assez près ce que furent, en leur temps, ceux de M. Fillon et des membres des siens, et que cela se voit ces jours-ci au remarqué soutien que leur apportent de (toujours plus) nombreux représentants de l’UDI et de l’UMP, mais que ces braves gens sont nonobstant de « gauche », et que… Ah, non, tiens, merde, j’y arrive pas.

[^2]: Dans une note ajoutée au bas d’une chronique de Daniel Schneidermann, où celui-ci protestait – cela tranchait agréablement sur l’assourdissant silence du reste de la rédaction – contre la censure du texte de Marcelle.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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