Deux femmes à la conquête des 12 %

En Massif central-Centre, Clarisse Heusquin (EELV) et Corinne Morel Darleux (Front de gauche) ont leurs chances. Portraits.

Patrick Piro  • 22 mai 2014 abonné·es
Deux femmes à la conquête des 12 %
© Photo Clarisse Heusquin : AFP PHOTO / THIERRY ZOCCOLAN Photo Corinne Morel Darleux : S. Burlot

Vingt-cinq listes, cinq de plus qu’en 2009, pour seulement cinq sièges à conquérir : la région Massif central-Centre, étirée du Puy-en-Velay à Dreux, est la plus disputée des circonscriptions pour le scrutin européen du 25 mai. Pour envoyer au moins un député à Strasbourg, il faudra recueillir 12 % des voix. Pari difficile mais pas impossible pour EELV, qui avait élu Jean-Paul Besset en 2009 avec 13,6 %. Mais les écologistes, tractés par Daniel Cohn-Bendit, avaient le vent en poupe, et le député sortant ne se représente pas. C’est Clarisse Heusquin, 26 ans et benjamine des têtes de listes EELV, qui vise sa succession. Jouable aussi pour le Front de gauche, mené par Corinne Morel Darleux (PG), plus expérimentée, mais dont c’est la première grosse campagne électorale. En 2009, le cumul des scores du parti et du NPA, sans liste dans la région et qui soutient le Front de gauche en 2014, représentait 13,5 %. Les deux candidates se sont croisées le 20 mai lors d’un débat télévisé entre têtes de liste du Massif central-Centre.

Génération Erasmus

Comme en 2009, Europe décroissance, réunion du Mouvement des objecteurs de croissance (MOC) et du Parti pour la décroissance (PPLD), présente des listes pour le scrutin européen dans cinq régions (Ouest, Nord-Ouest, Île-de-France, Est, Massif central-Centre) [^2]. Appelant à une rupture « radicale », ces listes revendiquent la souveraineté monétaire, la souveraineté alimentaire, l’opposition aux traités commerciaux de libre-échange, l’abandon de la politique de mégapoles, une transition énergétique décisive, la sortie d’urgence du nucléaire, la maîtrise et le juste partage des ressources au niveau local.

[^2]: Il faut télécharger les bulletins sur Internet et les imprimer : decroissance-elections.fr

« Et votre parcours professionnel se résume à des stages ? », s’étonne un journaliste. « Ah, c’est vous la tête de liste ? », lui dit-on encore. Clarisse Heusquin a dû vite apprendre à défendre ses 26 ans frais émoulus d’un parcours universitaire orienté vers les sciences politiques et le droit. La défiance envers les politiques n’est-elle pas due au fait que l’on voie toujours les mêmes têtes ? L’avenir des jeunes n’est-il pas une priorité ? Entourée de collaborateurs de son âge, elle se gave d’échanges, de terrain et de porte-à-porte, s’inquiète de sa tête après six semaines de vadrouille, « alors que l’on parle enfin de l’Europe », aimerait que les places publiques soient plus facilement accessibles –  « l’écolo-soupe, ça marche bien, surtout avec les jeunes… ». « C’est la génération Erasmus, le nouveau visage de l’Europe, se réjouit Jean-Paul Besset. Clarisse compense le handicap de son manque d’expérience par sa spontanéité, son intuition et sa grande sensibilité aux questions humaines. » Passé les petits ratés des premières réunions publiques et interventions dans les médias, la candidate se dit à l’aise dans sa région avec son pedigree d’Auvergnate, et sait pouvoir s’appuyer sur son enthousiasme –  « L’Europe, c’est mon sujet, ma passion ! »  – et ce qu’il faut de culot. Elle a présenté sa candidature pour mener la liste EELV dans la circonscription Massif central-Centre 48 heures avant la date limite, sur la suggestion d’un ami. Le vote des militants l’a placée en tête. « Quand j’ai pris une décision, je fonce, je ne m’encombre pas des détails. » Clarisse Heusquin aime raconter qu’elle appréhendait avec un fort ennui ses cours sur l’Europe, avant d’en découvrir le potentiel d’action. « J’ai toujours voulu exercer un métier qui permettrait de changer la vie des gens. L’Union agit sur 28 pays à la fois ! » Si elle est élue, quel domaine aimerait-elle investir ? « L’emploi et les affaires sociales, c’est par là que je me suis engagée dans l’écologie politique. » Sa satisfaction ? « Quand j’ai convaincu au moins un interlocuteur abstentionniste et désabusé par l’Europe d’aller voter le 25 mai. Et pour moi, j’espère ! »

Renverser la table

Saint-Pierre-des-Corps, Belleville-sur-Loire, Orléans, Clermont-Ferrand –  « Plus de 650 personnes »  –, une nouvelle étape tous les deux ou trois jours et 15 heures quotidiennes sur le pont « mais boostée », assure Corinne Morel Darleux. « Ça me dépasse, mais on trouve l’énergie parce qu’être tête de liste est une responsabilité collective et qu’il y a la possibilité de gagner. » Si elle est élue, la Drômoise démissionnera de son mandat de conseillère régionale… en Rhône-Alpes. Faire campagne en Massif central-Centre ? « Ce découpage en grandes régions n’a pas de sens. D’ailleurs, François Hollande s’est engagé à revenir à une seule circonscription nationale. Et puis je suis à l’aise avec les questions rurales, l’écologie politique est très présente dans la campagne – pesticides, OGM, perte de biodiversité, transition énergétique… », affirme la secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche. Une « belle campagne, se félicite la candidate, je suis très bien entourée ». Elle a souhaité multiplier les tables rondes avec des cheminots ou des sous-traitants du nucléaire, ces sorties d’usine où l’on risque moins l’entre-soi qu’en meeting de soirée. « On parle du fond. Défense des services publics, poids de la règle des 3 % de déficit budgétaire, concurrence. On arrive toujours à relier les préoccupations nationales et l’échelon européen. » Martine Billard, coprésidente du Parti de gauche, salue son dynamisme et son pouvoir de conviction –  « Elle a réussi à faire l’unité du Front de gauche sur son nom. » Troisième de liste dans le Sud-Est en 2009, Corinne Morel Darleux constate de la désillusion. « Les gens ont vu leur situation s’aggraver, ils ne marchent plus quand on leur vend une Europe qui protège. Mais, plus que de la désaffection, c’est le mécontentement qui les anime. » La candidate affiche en clair la critique de cette Europe libérale, avec sa camionnette étiquetée « La belle colère ». « Il faut convaincre que la pente n’est pas à la résignation ou à l’adhésion au Front national, et que l’espoir, c’est “renverser la table”, sortir des traités européens, bloquer le partenariat transatlantique Europe-États-Unis, désobéir à cette Union qui se moque du quotidien des gens ! Cette colère, je la partage. » Sortir de l’Europe, de l’euro ? « Très étonnée ! Je ne l’ai pas entendu revendiquer une seule fois ! »

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