Le FN arrivé en tête : à qui la faute ?

Au lendemain des européennes, le PS paye au prix fort les incohérences de sa politique nationale et sa soumission à Bruxelles, mais il n’est pas le seul à être responsable de la montée du FN.

Michel Soudais  • 29 mai 2014 abonné·es
Le FN arrivé en tête : à qui la faute ?
© Photo : AFP PHOTO / FRED DUFOUR

Elle devant et tous derrière. Jamais le Front national n’était arrivé en tête d’une élection nationale. Jusqu’à dimanche. Avec 24,85 %, le parti de Marine Le Pen devance nettement l’UMP (20,8 %) et plus encore le PS (13,98 %) dans un scrutin toujours marqué par une forte abstention : 57,57 % contre 59,37 % en 2009. Cette indéniable victoire de l’extrême droite marque également par sa diffusion géographique. Les listes frontistes, sans toujours avoir fait une campagne de terrain, hormis par affiches, arrivent en tête dans 71 départements, avec dans certains d’entre eux, les plus frappés par la crise, des scores que le PS ou l’UMP n’ont plus atteints depuis longtemps : 40 % dans l’Aisne, 38,9 % dans le Pas-de-Calais, 38,2 % dans l’Oise, 37,15 % dans la Somme…

Dès dimanche soir, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, fort du résultat du PPE, qui reste le premier groupe au Parlement européen, annonçait sa victoire et I-Télé le présentait aussi sec comme le nouveau président de la Commission européenne. C’est aller vite en besogne, car le Conseil, qui réunit les 28 chefs d’État et de gouvernement, notamment Angela Merkel, songe à d’autres candidatures. Mardi soir, les Vingt-huit devaient se retrouver pour un dîner informel à l’invitation du président du Conseil, Herman Van Rompuy. Officiellement pour débattre des résultats des élections et réfléchir aux enseignements à en tirer. Un peu plus tôt, les présidents de groupe du Parlement européen avaient prévu de se rencontrer, puis de s’entretenir avec les Vingt-huit pour les dissuader de présenter une autre candidature. Ce n’est de toute façon que lors du Sommet européen des 26 et 27 juin que le Conseil devrait arrêter son choix. Le Parlement européen nouvellement constitué se réunira pour une première séance d’installation du 1er au 3 juillet. Le vote pour le président de la Commission est prévu entre le 14 et le 17 juillet. Viendra ensuite le temps des négociations pour former la nouvelle Commission, laquelle doit entrer en fonction le 1er novembre. À cette date prend fin également le mandat d’Herman Van Rompuy.

Il perce à un niveau inédit chez les ouvriers (entre 43 et 46 % selon les instituts de sondage), même si dans cette catégorie de la population les abstentionnistes restent les plus nombreux (65 %). Toutefois, son discours hostile à l’Europe, à la mondialisation et à l’immigration séduit également les autres catégories de salariés, et les jeunes. Cette nouvelle poussée du Front national s’inscrit certes dans une tendance européenne favorable à la montée des mouvements de droite anti-UE (voir p. 11). Elle a aussi des causes inscrites dans la politique nationale, non sans lien aussi avec la politique économique et sociale impulsée par l’Europe. Causes identifiées maintenant depuis assez longtemps pour que le résultat de dimanche ne puisse être une surprise Le scénario d’un Front national à haut niveau était si prévisible que l’ancien bras droit d’Harlem Désir à la tête du PS, Mehdi Ouraoui, publie cette semaine un essai, en réaction à cette poussée annoncée, intitulé Marine Le Pen, notre faute (Éd. Michalon) : « Les partis républicains ont été incapables depuis 30 ans de réduire la progression du Front national, constate amèrement ce socialiste qui avait 20 ans le 21 avril 2002. Ni l’antiracisme festif de SOS Racisme ni le braconnage sarkozyste sur les terres lepénistes ne l’ont empêché de devenir une force politique centrale, avec des résultats électoraux à deux chiffres. Les mêmes partis républicains ont toujours refusé toute introspection, toute autocritique, sur leur responsabilité dans la montée du Front national, qu’ils imputent trop facilement à la crise. » Tous responsables ? Cette défense, très prisée dans les couloirs de la rue de Solférino, tient de la défausse. Si les responsabilités sont multiples, elles ne sont ni de même nature ni équivalentes. La droite UMP y a sa part. La radicalisation de son discours sur des thèmes susceptibles, à ses yeux, de séduire l’électorat d’extrême droite (insécurité, immigration, islam, valeurs traditionnelles…) n’a eu pour conséquence que de légitimer l’idéologie anti-Lumières qui constitue le socle du discours frontiste. Il n’était qu’à voir Jean-François Copé, jeudi dernier sur France 2, quelques jours avant l’élection, reprendre devant une Marine Le Pen ravie les vieilles lunes du FN sur Schengen ou l’aide médicale d’État (AME), pour mesurer le naufrage de ce qu’on a appelé « la ligne Buisson ». Dans le département semi-rural de Seine-et-Marne (27,9 %), fief du futur ex-président de l’UMP, le FN obtient son meilleur score en Île-de-France.

La responsabilité première du score inédit du FN incombe toutefois à ceux qui sont aux commandes du pays. Depuis juin 2012, les socialistes ont tous les pouvoirs ou peu s’en faut. Or, en deux ans, François Hollande a complètement perdu son électorat et détruit son parti. Fin mars, le PS avait été atteint dans ses bastions municipaux, base de sa puissance militante. Cette fois, l’effondrement est général, y compris dans un département comme le Pas-de-Calais (12 %), marqué par une longue tradition de socialisme municipal. À l’autre bout du pays, dans un département qui faisait les congrès socialistes, le PS n’arrive en tête dans aucune commune des Bouches-du-Rhône, ni aucun arrondissement de Marseille. Le PS paie au prix fort les promesses non tenues de François Hollande : son renoncement à réorienter l’Europe, l’abandon de la lutte contre la finance, l’allongement de l’âge du départ en retraite, l’absence de réforme fiscale… Mais aussi son ralliement complet au libéralisme, qui se manifeste dans l’obsession de la lutte contre les déficits, la recherche à tous crins de la compétitivité et de la baisse du coût du travail, et leur cortège de réformes structurelles. Ces reniements, Marine Le Pen en fait son miel avec un parfait opportunisme. On l’a ainsi vue, lors du débat sur France 2, conseiller, hilare, aux téléspectateurs d’aller voir sur Internet une courte vidéo récapitulant 35 ans de promesses sur l’Europe sociale, vidéo que Politis.fr a été le premier à relayer. « La montée du FN n’est pas autre chose que  […] le produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi », analysait Frédéric Lordon, le 2 mai 2012, sur son blog. Le constat vaut toujours. Le PS boit la tasse, mais c’est toute la gauche qui trinque. Entendue dans son acception la plus large, c’est-à-dire du PS à Lutte ouvrière, du centre gauche à l’extrême gauche, la gauche est à son plus bas niveau historique : elle ne rassemble que 34,04 % des voix, soit moins qu’au premier tour de la présidentielle de 2007 quand elle s’était effondrée à 36,46 %. Pour mémoire, le 21 avril 2002, quand Jean-Marie Le Pen avait accédé au second tour de la présidentielle, le score cumulé des candidats de gauche était de… 42,89 %. De ce côté de l’échiquier, les électeurs ne voient poindre aucune alternative.

Après son excellent résultat enregistré en 2009 (16,28 %), quand ses listes faisaient quasiment jeu égal avec le PS, Europe Écologie-Les Verts s’attendait à un recul. Son ampleur va bien au-delà des craintes que la sortie du gouvernement des ministres écolos voulait conjurer. Avec 8,95 % des voix et six eurodéputés, le mouvement de Cécile Duflot chute de 7,3 points et perd huit élus. Cette contre-performance n’a pas empêché l’ancienne ministre du Logement de se féliciter sur Twitter de… « la très bonne résistance des écologistes ». Les dirigeants du Front de gauche étaient, dimanche soir, plus affectés, même si le score de leurs listes enregistre une notable stabilité : 6,33 % contre 6,05 %. En cinq ans, le Front de gauche gagne même 150 000 voix, mais il perd un élu, Jacky Hénin, dans la circonscription Nord-Ouest. Cette stagnation relance déjà les débats sur ce qui a manqué au Front de gauche pour capter la colère sociale qui se porte sur le FN (voir entretien avec Clémentine Autain, p. 8). Le Front de gauche, qui ne parvient pas à récupérer le vote d’extrême gauche (NPA, LO), tombé en cinq ans de 6,1 % à 1,6 %, paie indéniablement le prix des disputes qui l’ont agité lors des municipales et qui ont beaucoup retardé le lancement de sa campagne européenne. Sûrement aussi un traitement médiatique bien moins favorable que ne l’a été celui du Front national. « Le système médiatique a fait voter Front national malgré lui. » Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui le dit, mais Olivier Duhamel. Lundi, le politologue et chroniqueur mettait en cause, sur Canal +, la tendance qu’ont eu les médias à poser le FN en enjeu fondamental des élections : « Inconsciemment – pour être dans l’air du temps, pour vendre ou pour faire chic, j’en sais rien – ils ont d’abord martelé cet enjeu : est-ce que le FN va être en tête ? » Jusqu’à faire presque disparaître les véritables enjeux, européens, du scrutin.

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