NETMundial : l’art de ne pas protéger l’écosystème

Christine Tréguier  • 7 mai 2014
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Organisé sur proposition du Brésil à la suite des révélations d’Edward Snowden, la conférence internationale NETMundial a réuni les 23 et 24 avril, à São Paulo, un millier de participants : États, secteur privé, société civile, communauté technique et des universitaires, venant de 87 pays. Son ambition était de définir les principes d’une gouvernance multipartite de l’Internet et une feuille de route pour l’évolution de cet « écosystème ».

Ce genre de réunion planétaire accouche bien souvent de souris et de vœux pieux, que les participants, faute d’y être tenus, ne respectent que très peu. Le NETMundial, comme le Sommet mondial pour la société de l’information (SMSI en 2003 et 2005) ou les Forums pour la gouvernance de l’Internet (IGF), n’a pas échappé à la règle et la déception est grande dans la société civile. Les « multi-parties » se sont mises d’accord sur une déclaration finale qui n’a retenu des 180 contributions formulées que le moins-disantes et le moins gênantes pour les acteurs et les États, tous soucieux de protéger leurs intérêts, financiers et politiques.

Certes, elle affiche un impératif de protection des droits fondamentaux, égrenant les bons principes, ceux dont la violation n’engage à aucune sanction : liberté d’expression, d’association, d’information et d’accès à l’information, accessibilité, réduction de la fracture numérique, etc. Certes, elle précise que la vie privée doit être protégée et que nul ne devrait être soumis à une surveillance arbitraire ou illégale, ou à la collecte, au traitement et à l’utilisation abusive de ses données personnelles. Mais elle procrastine gravement en se contentant d’annoncer que les lois et pratiques de surveillance de masse «   devraient être revues   » , s’en remettant à des discussions futures ! Pour La Quadrature du Net «   les passages du texte consacrés à la surveillance de masse – la raison initiale pour laquelle NETMundial a été convoqué  – sont ridicules, n’appelant à rien de plus que “davantage de dialogue”, échouant totalement à appeler à une quelconque action concrète  » . Quant au paragraphe qui ramène le niveau de protection des intermédiaires au fait qu’ils «   respectent et promeuvent la croissance économique, l’innovation, la créativité   » , il fleure bon le lobbying des opérateurs et des ayants droit.

Certes, dans la feuille de route, les « multi-parties » appellent à rendre les organismes qui gèrent l’infrastructure du réseau, comme l’ICANN [^2], moins américains et plus internationaux. Et c’est un grand pas, si tant est que l’intention soit suivie d’effets. Mais la question de la neutralité du Net, un des points les plus attendus, a été gommée de la liste des principes de gouvernance. Y figurent seulement de vagues formules stipulant qu’Internet doit rester un réseau de réseaux «   globalement cohérent, stable, non-fragmenté et accessible   » , que les paquets de données et l’information doivent «   circuler librement d’un point à un autre, indépendamment de la légalité des contenus   » ou encore qu’il faut maintenir «   la nature point à point de l’Internet ouvert et chercher des experts techniques pour résoudre les problèmes techniques » , ** bla-bla-bla…

Il faut aller à la fin de la feuille de route, au chapitre « Points devant être discutés ultérieurement », pour trouver enfin le terme de « neutralité ». Il y est dit que les discussions sur le sujet ont été «   très productives et importantes   » , et que son inclusion en tant que principe dans les conclusions a fait l’objet d’avis divergents. Qu’on y a cependant mentionné une notion d’ « Internet ouvert » et qu’il est «   important de poursuivre les discussions sur l’Internet ouvert (pas sur la neutralité) *, y compris pour permettre*   liberté d’expression, concurrence, choix du consommateur, transparence et gestion appropriée du réseau   » . Comme dit ma tante Rita : «   On n’est pas rendus !   » Même l’AFNIC, organisme qui gère les noms de domaines français, tout en se félicitant diplomatiquement que, «  pour la première fois, il est acté que ce sujet mérite des discussions internationales approfondies   » , juge «   le bilan mitigé malgré la pression très forte exercée par le Brésil sur ce sujet   » .

Le fait est que sur ce sujet, comme sur celui de la surveillance de masse, Dilma Rousseff, la Présidente brésilienne qui a impulsé cette conférence et soutenu la loi « Marco Civil da Internet » sur la neutralité du Net et les données personnelles, a dû manger son chapeau.

Pour La Quadrature du Net «   la farce de la gouvernance de l’Internet par NETMundial doit servir à réveiller les citoyens qui veulent réellement la fin de la surveillance de masse et favoriser les libertés numériques   » . Son communiqué s’achève sur un appel vibrant de son ex-porte-parole, Jérémie « Che » Zimmermann : «  Nous devons mener un combat politique pour obtenir la protection de nos droits et libertés en créant un contexte global qui forcera les gouvernements à protéger Internet comme un bien commun, inspiré par les précédents siècles de lutte pour les droits civiques et humains. »

En effet, il est grand temps de réagir. Si on considère que le Net est un bien commun et un écosystème – terme très prisé par les acteurs de la société numérique qui voient des écosystèmes partout et se prétendent experts en régulation –, il est indispensable de protéger sa neutralité, facteur clé de son développement. C’est l’équivalent, dans un écosystème naturel, de ce qui garantit le maintien et la survie de la biodiversité. Laisser quelques prédateurs la remettre en cause induirait ce que les spécialistes appellent une « régression écologique » . Autrement dit, une évolution du système vers un état moins stable, moins diversifié, et donc moins « durable », au sens écologique du terme : les composantes de l’écosystème et leurs fonctions ne seraient plus préservées pour les générations présentes et futures.

[^2]: Internet Corporation for Assigned Names and Numbers. En français, la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet.

{{Sur le Web}}

Le site du NETMundial : [http://netmundial.br/fr/->http://netmundial.br/fr/]

Le site du SMSI : [https://www.itu.int/wsis/index-fr.html->https://www.itu.int/wsis/index-fr.html]

La définition de Wikipedia d’un écosystème[http://fr.wikipedia.org/wiki/écosystème->http://fr.wikipedia.org/wiki/…cosystËme]

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