Rouge comme une banane…

L’heure est au magenta, que ce soit pour visiter une collection de tableaux du XXe siècle ou soulever un débat cuisant : pour ou contre la fessée ?

Ingrid Merckx  • 8 mai 2014 abonné·es

Tout est rouge, de la couverture aux pages. Ce peut être un détail sur le tableau : un toit dans les Chaumières de Van Gogh (1890), des fruits allongés dans les Bananes de Gauguin (1891), la moitié d’un visage dans Buste de femme au chapeau de Picasso (1962)… Mais, parfois, le magenta déborde : sur les conserves de tomate de Warhol (1965), la peau chez Pignon ou Tamayo, une robe chez le Douanier Rousseau…

Treize tableaux, treize peintres rassemblés sous l’étendard révolutionnaire : Rue du monde a choisi un prétexte comme un autre pour évoquer des œuvres stars du XXe siècle. Mais ce prétexte a du sens. Car, dans les textes qui les accompagnent, l’éditeur et auteur Alain Serres s’attache à définir chaque rouge. C’est en effet un festival de sangs que l’ouvrage invite à contempler. Celui de Van Gogh « réchauffe les yeux ». Et pas seulement puisqu’il convie, « quand tout grelotte », à s’approcher du feu et « à poser mains sur toit ». Celui de Picasso « pleure à grands flots », « de l’eau », « de l’or », « un pays et son drapeau ». Celui de Basquiat « fait mal aux cœurs-qui-saignent » et « effraie les loups-sans-voix ». Chacun de ces couples peinture-poème incite à embrayer sur le même mode, à saisir les nuances de couleurs et de traits, à construire un commentaire sur ce que les teintes et leurs dérivés suggèrent, à ouvrir un imaginaire en le désarçonnant : il fallait oser glisser la Grande Anthropologie bleue de Klein (1960) dans cette fondue de soleils couchants. Le Petit Musée du rouge propose de démarrer un corpus en visualisant et en mémorisant certains tableaux. Cette couleur commune n’est pas seulement un stratagème mais un angle d’approche, une clé d’entrée.

Le rouge s’épanche aussi dans le Conte du prince en deux, d’Olivier Douzou et Frédérique Bertrand, à commencer par les pages de garde qui en sont baignées, avec une foultitude de mains en guise d’imprimé. Et pour cause, l’ouvrage propose une digression sur le thème « Histoire d’une mémorable fessée ». Au centre, un conte, celui du titre. Tout autour, le discours d’une mère « totalement opposée » à ce châtiment traditionnel. Elle porte une robe rouge comme le short de son garçonnet qui l’interrompt sans cesse et qu’elle conduit dans une école aux toits rouges. Et c’est un concert à plusieurs voix sur les opposants et les partisans de la chose, les Suédois et les Américains qui punissent les tapeurs et les Français qui ont la main leste et la contradiction facile. Les illustrations et la mise en scène jouent de ces contradictions en croisant les argumentaires des parents et de leurs têtes blondes. Lesquelles n’en disent finalement pas grand-chose, sinon : « Elle est pas possible, ton histoire. » C’est écrit en lettres rouges, comme le « dringggggg » de la cloche. Tous les adultes du royaume du conte avaient fait le serment de ne plus donner de fessée. Les bambins n’y croient pas ? Sans blague ? Il faut dire qu’on ne leur a pas tellement tendu le micro, ils étaient surtout là pour jouer les trouble-fête. Justification ou pied de nez ? Les adultes ne sont pas moins benêts dans cet album sarcastique sur un sujet pas si léger. Carton rouge ?

Culture
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