SNCF : La sécurité en question

Les cheminots avaient lancé l’alerte sur les risques importants que font peser les nouvelles rames, trop larges, mais aussi trop longues.

Thierry Brun  • 29 mai 2014 abonné·es
SNCF : La sécurité en question
© Photo : AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

L’affaire des commandes de rames Régiolis dont la largeur nécessite de raboter certains quais en cache une autre. « Ce qui a été révélé par le Canard enchaîné   [le 21 mai] est tout sauf une surprise », réagit David Débois, conducteur de train et syndicaliste de SUD-Rail. « Cette invraisemblable histoire est d’autant plus choquante que les cheminots des établissements “infra-pôle”, notamment l’encadrement spécialiste des gabarits, avaient alerté à moult reprises les dirigeants de la SNCF sur ce problème, sans réaction de leur part », pointe la CGT cheminots.

SUD-Rail avait ainsi attiré l’attention sur le bug des nouvelles rames de franciliens dès le début de l’année 2013, dans un dossier de vingt pages, relevant que « le coût total de la commande de ces trains est de 2,7 milliards d’euros et  [que] personne n’a vérifié la longueur des quais… ». Le syndicat avait dressé « un point complet » édifiant, lors des premiers essais, le 2 mars 2013, de l’automotrice commandée à Bombardier. « La cacophonie générale avait commencé avec la longueur de la rame, puisqu’elle avait été conçue trop longue pour les quais de la gare Saint-Lazare », ont signalé, entre autres, les cheminots. Pour rattraper la bévue, « on nous a installé un système extravagant de miroir au bout des quais pour aider les conducteurs à s’approcher au maximum du butoir et stationner le plus près possible la rame », explique un conducteur de train. Un autre problème est apparu : le nouveau francilien est aussi trop large… Interpellés par ces bizarreries, les délégués du personnel ont donc demandé une expertise. « On a missionné le cabinet Degest dans le cadre des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail  [CHSCT]  », raconte Yannick Lemarié, conducteur de train et syndicaliste SUD-Rail. « Un rapport de 170 pages très construit a été remis aux CHSCT, à la direction et au Syndicat des transports d’Île-de-France  [Stif]. La restitution de l’expertise a eu lieu en octobre 2013 », explique un expert du cabinet Degest. Le constat est accablant : « Aucune étude d’impact n’a été réalisée par la SNCF pour évaluer les conséquences de l’arrivée des nouveaux franciliens. Or, les infrastructures sont inadaptées aux nouvelles normes européennes. L’espace entre deux rames étant réduit à 8 centimètres, nous avons relevé des risques inquiétants, en particulier quand deux rames nouvelles sont amenées à se croiser. Il suffit qu’un amortisseur soit un peu mou ou tombe en panne pour qu’une rame touche l’autre… » L’espace entre le train et le quai « ne laisse aucune place aux aléas du type capot ouvert ou appareils en mauvaise position, ajoute SUD-Rail. Aucune mesure n’a été prise par la direction de la SNCF à la suite de ces alertes et l’accident inévitable est arrivé en février puisqu’un capot situé sur le flan d’une nouvelle rame a heurté un quai voyageur et arraché des chemins de câbles en tôles, causant des dégâts matériels importants sur le quai et sur le train ». Heureusement, sans blesser un usager…

La SNCF réagit en assignant le cabinet Degest devant le tribunal de grande instance pour contester la qualité du rapport, « remettant en cause nos analyses alors que nous avons constaté ce qui est désormais sur la place publique, s’étonne un des experts, qui ajoute : « En fait, la SNCF veut se délester de sa responsabilité pour éviter de payer des pénalités au Stif. » Contactée par Politis, la SNCF assure avoir lancé en amont une campagne de rabotage des quais : « C’est RFF [Réseau ferré de France] qui a dû les raboter, en 2009, quand le Stif a lancé la commande de 370 rames. » Pour plus de précision, l’entreprise publique renvoie à RFF-IDF, qui ne répond pas… De son côté, SUD-Rail accuse la SNCF de ne pas « communiquer les résultats des études de RFF sur la compatibilité entre les quais et les trains » et a fait valoir son droit d’alerte. Plus grave, un conducteur de train explique que « les infrastructures sont en piteux état. Des voies s’affaissent. Or, on nous fait circuler avec des nouvelles rames qui prennent la totalité du gabarit en considérant que les infrastructures sont nickels… » De plus, un document interne à la SNCF sur les « conditions de circulation » des nouveaux trains « sur la région de Paris Saint-Lazare », que Politis a pu consulter, révèle que certaines voies, dont Paris-Versailles, sont jugées « inaptes » pour les nouvelles rames. « Certains tunnels de la région sont aussi interdits car trop étroits », explique David Débois. Pour les cheminots, cette nouvelle affaire met en cause « la casse de la SNCF commencée en 1997 avec la séparation de RFF », ainsi que la « désintégration de la sécurité ». Un aspect ignoré lors de la présentation, le 26 mai, d’un rapport commandé à la SNCF et à RFF par Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État aux Transports.

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