Les profanateurs de sépulture

Des rigolos ont remis le Prix de l’appel du 18 Juin à M. Sarkozy. M. Gaulle hurle sa rage.

Sébastien Fontenelle  • 26 juin 2014 abonné·es

Depuis quelques jours, les verdoyants coteaux du département de la Haute-Marne résonnent, dit-on, dans la proximité du charmant oppidum de Colombey-les-Deux-Églises, d’abominables imprécations : c’est le général Gaulle qui, du fond du tombeau, hurle sa rage après que des rigolos réunis sous l’appellation Union des jeunes pour le progrès ont remis, ce mercredi, le Prix de l’appel du 18 Juin, qui [^2] « distingue une personnalité pour l’adéquation de son action politique avec les principes du gaullisme, ainsi que pour sa personnalité », à M. Sarkozy.

Entendons-nous bien, Fabien [^3] : je ne suis pas spécialement fan de M. Gaulle, qui était, comme tu sais, quelqu’un d’assez droitier. Mais tout de même – et sans remonter jusqu’à son fameux appel, justement, qui ne fut pas exactement son moment le plus honteux –, nous pouvons lui reconnaître qu’il est allé quelques fois contre ses inclinations et qu’il a tenu quelques positions qui n’étaient – certes – pas complètement indignes : quand il a, par exemple, décidé que le monde n’était pas obligatoirement la cour de récré des Yankees, ou que, non, Raoul, l’Algérie ne resterait finalement pas française, et, non, Raoul, je ne vais pas non plus me laisser emm***** par un quarteron de fanatiques. Puis, d’après ce qui se dit, le gars était, dans sa vie personnelle – et au contraire de certains de ses partisans et supporteurs –, d’une intégrité qui, vue depuis 2014, paraît tout à fait excentrique : je veux dire que, si l’envie lui prenait d’aller se désaltérer au Balto, il ne faisait pas forcément payer son Perrier tranche par le contribuable.

À côté de ça, M. Sarkozy, lui, s’est notamment illustré par l’empressement qu’il a mis, juste après que M. Villepin – brûlant les consignes de MM. Bruckner & Glucksmann [^4], penseurs – venait de signifier au monde qu’il n’entendait nullement suivre M. Bush dans sa croisade irakienne de 2003, à déclamer – depuis Washington – que cette insoumission le navrait. Puis, quelques années plus tard – après s’être porté candidat à la présidence de la République –, il a récité dans sa campagne, devant des salles méridionales bourrées jusqu’à la gueule de nostalgiques de l’Algérie française que le seul nom de Gaulle fait vomir, des odes au rôle positif de la colonisation. Et, depuis qu’il n’est plus dans l’Élysée, son nom est cité dans tellement d’affaires politico-financières qu’on échouerait, assurément, à vouloir toutes les énumérer dans l’espace congru – 300 tout petits signes – de la fin de cette chronique.

Ne pas s’étonner, dès lors, si les cris d’outre-tombeau du général Gaulle continuent longtemps de troubler la bucolique sérénité de la campagne colombéenne – ni de ce qu’il appelle tous les Français, où qu’ils se trouvent, à s’unir à lui contre cette profanation de sa sépulture.

[^2]: Selon le Figaro.

[^3]: T’ai-je déjà dit que, si tu me le demandes gentiment, je te ferai un prix de gros sur les rimes riches ?

[^4]: Liste non exhaustive du tout.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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