Brésil : Le Mondial côté sombre

La Coupe du monde de football tire sa révérence sur un bilan jugé positif, mais l’ampleur médiatique de l’événement a occulté de graves atteintes aux droits de l’homme. Correspondance à Rio, Marie Naudascher.

Marie Naudascher  • 17 juillet 2014 abonné·es
Brésil : Le Mondial côté sombre
© Photo : Photo by Oli Scarff/Getty Images / AFP

La statue du Corcovado aux bras ouverts surplombe le stade du Maracanã, scintillant au milieu de la zone Nord de Rio de Janeiro. L’image saisit les millions de touristes et d’amoureux du football regroupés sur la plage de Copacabana pour assister à la dernière phase de la compétition. À l’unisson, ils applaudissent cette belle perspective. Malgré les sérieuses préoccupations de la presse internationale liées aux retards des stades pour ce Mondial, le Brésil a offert un spectacle inoubliable. Les 32 meilleures équipes de football de la planète ont permis au Brésil de montrer qu’il était à la hauteur pour organiser ce type de grands événements. Mais le contrôle de la FIFA, organisatrice de l’événement, a occulté des éléments importants. Tout commence lors de la cérémonie d’ouverture du 12 juin. Alors que le monde entier découvre les formes de Jennifer Lopez et de Claudia Leite chantant l’hymne de la FIFA, un jeune Guarani de 13 ans brandit une banderole rouge : « Demarcação » (démarcation). À la télévision, l’image du trio d’enfants blanc, métis et indigène lâchant une colombe, en signe de paix, quelques minutes auparavant, fait le tour du monde. Celle du petit Indien a disparu des écrans.

Vivant dans des conditions extrêmement précaires, dans une réserve de la région de Parelheiros, au sud de São Paulo, il entendait dénoncer l’absence de démarcation des terres indigènes par le ministère de la Justice. La question agraire, au cœur des revendications des Indiens depuis le projet d’amendement constitutionnel (PEC 215), fait partie des problématiques que le Mondial n’aura pas fait émerger. Autre cause oubliée, celle de la défense d’un petit animal qui a lui aussi disparu des écrans, mais pas des boutiques de la FIFA, où la petite peluche « Fuleco » a ravi petits et grands. Contrairement à « Footix », la mascotte du Mondial 1998, simple symbole des supporters français, celle du Mondial 2014 avait pour but de défendre le tatu-bola, une espèce de tatou-boule en voie de disparition et qu’on ne trouve qu’au Brésil. Fuleco, contraction de « futebol » et d’« écologie », avait permis à la FIFA de s’acheter une image de protectrice de l’environnement. « Nous voulions que la FIFA s’engage en versant un million d’euros pour la protection du tatu-bola », explique Rodrigo Castro, de l’ONG Caatinga, sise à Fortaleza, dans la région du Nordeste. Prétextant un investissement important pour la lutte contre les émissions de carbone engendrées par la compétition, la FIFA n’a finalement proposé que 96 000 euros, jugés insultants, immédiatement refusés par les militants. Avant le début du Mondial, le déplacement de 19 000 familles, selon des chiffres sous-estimés fournis par la mairie de Rio de Janeiro, avait mobilisé des ONG comme Amnesty International. « Le manque de concertation du gouvernement avec les populations locales amène à des abus, comme l’expulsion des habitants de certaines favelas », dénonce Renata Neder, d’Amnesty International au Brésil. Une fois encore, après le coup de sifflet ouvrant la compétition, les préoccupations sociales semblent disparaître sous le tapis de jeux des matches.

Les jeunes Noirs, les métis des favelas ou des périphéries restent les principales victimes des excès de la police militaire. Avec en moyenne 29 homicides pour 100 000 habitants en 2012, le Brésil est un pays violent. Mais cette réalité, les touristes n’avaient aucune raison de la vivre, car elle ne concerne pas les quartiers d’Ipanema ou de Copacabana, là où ils se sont concentrés. Le 11 juin, veille du coup d’envoi, alors que tous les regards se tournaient vers São Paulo et les retards d’aménagement de son stade, deux adolescents sont arrêtés par la police dans le centre des affaires de Rio. Ils se connaissent à peine, mais la triste vérité des statistiques va sceller leur destin. Emmenés dans une voiture de police jusqu’au sommet d’une favela, à la lisière d’une forêt, ils sont abattus par les agents et laissés pour morts dans un fourré. Mateus Alves dos Santos, 14 ans, passionné de football, ne verra jamais le Brésil vaincre la Croatie quelques heures plus tard. L’autre adolescent survit à ses blessures. Un miracle. Dès le lendemain, il tente de dénoncer ses bourreaux. Il doit aujourd’hui être sous protection… policière. Quatre semaines après, alors que les mouvements sociaux ont été étouffés par la grande fête du football, le mythique stade du Maracanã s’apprête à accueillir la finale, avec onze chefs d’État sur place. À moins d’un kilomètre à vol d’oiseau, la place Saens Peña s’apprêtait à regrouper une manifestation prévue à 13 heures. Dès 10 heures, la police militaire encercle les lieux, détachant une partie des 26 000 hommes mobilisés autour du Maracanã. Les militants comptaient rejoindre à pied le stade pour dénoncer les actes de torture pratiqués par la police contre Amarildo – le père de famille assassiné par les Unités de police pacificatrice (UPP) de la favela de Rocinha – et la mort d’une dizaine d’habitants du Complexo da Maré, il y a tout juste un an. Les gaz lacrymogènes et les coups de matraque ont dispersé les manifestants, en présence de journalistes de médias principalement alternatifs. Certains journalistes ont vu leur matériel détruit dans les altercations avec les militaires. Au total, trente personnes ont été arrêtées les jours précédant la finale, « selon des mesures préventives », a annoncé la police. « L’État d’exception est devenu de plus en plus courant au Brésil, et les manifestants sont persécutés et criminalisés dans un contexte de militarisation exacerbée de l’État », dénonce l’ONG Justiça Global.

L’État Brésilien peut néanmoins se féliciter d’avoir été le seul à avoir arrêté le réseau mafieux de revente de billets qui sévissait depuis 2002, soit depuis les trois derniers Mondiaux. « Le Copacabana Palace  [un prestigieux hôtel de Rio, NDLR] était devenu la plaque tournante du trafic de billets, avec des contacts privilégiés au sein de la FIFA », a indiqué le commissaire Fábio Barucke, en charge de l’enquête. L’arrestation du Franco-Algérien Mohamadou Lamine Fofana, ainsi que d’une dizaine de Brésiliens, restera comme l’un des héritages positifs de cette Coupe. Sur le terrain, la Seleção restera dans l’histoire comme l’équipe qui aura vécu la plus cinglante défaite à domicile : 7 à 1 contre l’Allemagne. «   Les Brésiliens ont eu assez de maturité pour différencier l’équipe du Brésil, qui a perdu, de la nation, qui ne se limite pas à ses joueurs », analyse Ronaldo Helal, sociologue à l’université de l’État de Rio de Janeiro.

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