Frondeur à Bruxelles, anti-frondeur à Paris

La politique budgétaire est verrouillée par le pacte de stabilité.

Liêm Hoang-Ngoc  • 3 juillet 2014 abonné·es

Les politiques d’austérité ont tué la demande et conduit la zone euro vers la déflation. Elles ont creusé la dette qu’elles étaient censées réduire, car l’économie ne croît pas suffisamment pour dégager des excédents budgétaires. Consciente de la gravité de la situation, la BCE a baissé son taux directeur et déployé une politique non conventionnelle d’injection de liquidités. Cette action ne suffira pourtant pas à enrayer la déflation et à relancer la croissance. Les banques, disposant d’argent frais peu cher, n’ont en effet aucun intérêt à financer les entreprises dont l’activité est au ralenti ou à prêter aux ménages menacés par le chômage. C’est précisément dans ces conditions que la politique budgétaire doit être mobilisée pour soutenir l’investissement et redistribuer les revenus vers les ménages qui consomment. Celle-ci est malheureusement verrouillée par le pacte de stabilité et par le traité budgétaire européen que le président de la République s’était engagé à renégocier. Le budget communautaire aurait pu monter en puissance. Malheureusement, les États se sont entendus il y a peu pour une baisse de 10 % de ce budget pour la période 2014-2020, rendant hypothétique la promesse d’un pacte de croissance.

Cependant, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, lors du Conseil européen de juin, François Hollande a pris, avec Matteo Renzi, président du Conseil italien, la tête de la fronde de ceux qui demandent une adaptation du pacte de stabilité. Ce pacte entrave tout d’abord le jeu des stabilisateurs automatiques par lequel, en phase de basse conjoncture, les déficits se creusent mécaniquement (car les recettes fiscales diminuent), mais jouent un rôle d’amortisseur social (les prestations sociales évitent une dégradation du pouvoir d’achat) et de soutien à la reprise. Pour permettre à ce mécanisme d’opérer, il faut faire sauter la limite des 3 %. Le chef de l’exécutif italien insiste également sur l’exclusion des dépenses d’investissements publics du calcul des déficits. Cela permettrait de mettre sur pied des grands travaux (infrastructures, transition énergétique, etc.).

Le Conseil et la Commission reconsidéreront peut-être le calendrier de réduction des déficits. Encore faut-il que les nouvelles marges de manœuvre soient affectées à bon escient. On peut malheureusement craindre que l’obstination de l’exécutif français à les affecter au pacte de responsabilité ne conduise de nouveau à verser de l’eau dans le sable, sauf pour les actionnaires. Notre monarque de droit républicain et son cardinal seraient bien avisés de traiter autrement que par le mépris la fronde qui monte dans leur royaume. Les députés frondeurs demandent le rééquilibrage de cette dépense fiscale en direction de l’investissement public, la redistribution et la politique de l’emploi. Ce débat est crucial. Alors que 13 milliards ont déjà été déboursés au titre du CICE, 10 000 à 20 000 travailleurs viennent désormais gonfler tous les mois l’armée de réserve dont le patronat se sert pour exercer une pression à la baisse sur des salaires plus que jamais gelés dans tous les secteurs.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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