Gaza : « Une double injustice »

Deux observateurs du conflit analysent les événements du mois de juillet en France. Pour eux, au revirement diplomatique s’ajoute le triomphe du deux poids, deux mesures.

Denis Sieffert  • 24 juillet 2014 abonné·es
Gaza : « Une double injustice »
© Photo : CITIZENSIDE/NICOLAS LIPONNE

La position du tandem Hollande-Valls depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza fait débat. Assistons-nous à une rupture avec la position traditionnelle de la France au Proche-Orient ? Pour Pascal Boniface [^2], « il s’agit plutôt d’une accentuation de la rupture avec la position héritée de De Gaulle ». Selon le directeur de l’Iris, « le mouvement avait été engagé par Chirac lorsqu’il avait reçu Ariel Sharon en 2005 ».

Mais le choc vient aujourd’hui du fait que « Hollande avait fait des promesses à ce sujet pendant sa campagne électorale ». « Or, il s’est ensuite montré extrêmement prudent », souligne Pascal Boniface, qui rappelle que « c’est Fabius qui avait forcé la main du président de la République au moment du vote pour le statut d’observateur de la Palestine à l’ONU, en novembre 2012 ». Ce tropisme pro-israélien s’est exprimé spectaculairement avec l’interdiction de deux manifestations, à Paris et à Sarcelles, le 19 juillet. « L’interdiction de manifester vient se greffer sur le refus de prendre position là-bas, souligne Pascal Boniface, et c’est ressenti comme une double injustice. » L’engagement de la France au côté du gouvernement Netanyahou est aussi apparu dans les discours du Premier ministre : « Valls estime que toute critique d’Israël est le masque de l’antisémitisme. C’est peut-être vrai pour quelques personnes, analyse Pascal Boniface, mais c’est faux pour l’immense majorité. » Le politologue fait cependant « une différence entre ce qui s’est passé le 13 juillet à Paris et les incidents à Sarcelles, le 19 ». « À Paris, il y a eu une déformation des faits car il n’y a pas eu d’attaque de la synagogue. À Sarcelles, des faits réellement graves se sont produits. »

Analyse partagée par Guillaume Weill-Raynal. Observateur attentif de la communauté juive et auteur d’un essai sur les Nouveaux Désinformateurs (éd. Armand Colin, 2007), il déplore l’interdiction de la manifestation du 19 juillet : « C’est le triomphe du deux poids, deux mesures. » « Depuis des années, observe-t-il, la communauté juive organisée et le Crif tissent leur toile et, avec un culot extraordinaire, occupent le terrain médiatique sans vergogne. Sans reculer devant les arguments les plus grossiers. Eh bien, ce qu’on peut dire, c’est que ça marche ! » « Dans l’affaire de la rue de la Roquette, les grands médias ont immédiatement rapporté qu’une manifestation “arabo-musulmane” de soutien à Gaza avait gravement dérapé et s’était attaquée à une synagogue. Or, il suffit de voir un certain nombre de vidéos pour comprendre que ça ne s’est pas passé ainsi. Ce qui est évident, c’est qu’il y a eu une provocation de la Ligue de défense juive, qui a appelé plusieurs jours auparavant à un rassemblement devant la synagogue. » Quant à la tentative de criminalisation du soutien à Gaza, « c’est le triomphe de Sammy Ghoszlan » [^3], qui a toujours répété que « le palestinisme  (sic) est un antisémitisme ». C’est aussi la victoire du rapport Rufin [^4] qui considérait que comparer la politique israélienne à l’apartheid est un acte antisémite.

[^2]: Pascal Boniface a récemment publié la France malade du conflit israélo-palestinien (éd. Salvator, 2014).

[^3]: Fondateur du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, Sammy Ghoszlan est une des figures les plus droitières de la communauté.

[^4]: Le rapport rédigé par Jean-Christophe Rufin, en 2004, assimilait à un antisémitisme l’ « antisionisme radical » et critique de la politique du gouvernement israélien. Dans le collimateur, « l’extrême gauche altermondialiste et verte ».

Monde
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