«Il faut remettre l’humain au cœur de Pôle emploi»

Jean-Charles Steyger, représentant syndical de SNU-Pôle emploi, dresse un bilan critique de l’évolution du service public de l’emploi. Il appelle à la grève à la rentrée prochaine.

Sarah Masson  • 3 juillet 2014
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«Il faut remettre l’humain au cœur de Pôle emploi»
© Photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Que se passe-t-il au sein de Pôle emploi ? Fait rare dans l’histoire du service public, le 19 juin, plus de 10 000 agents étaient en grève, soit plus d’un agent sur 5, à l’appel de l’intersyndicale CFDT-CGT-CGC-FO-SNU-SUD-UNSA, ce qui témoigne d’une « inquiétude profonde des personnels pour leur avenir professionnel » . 60 % des psychologues de Pôle emploi étaient en grève le 17 juin et, localement, un bras de fer est mené entre les agents et leur direction contre des réorganisations qui dégradent les conditions de travail et l’accueil des demandeurs d’emploi.

À quelques jours de la conférence sociale, à laquelle le Syndicat national unitaire (SNU) participe, quels sont les points les plus problématiques dans le fonctionnement de Pôle emploi que vous voulez voir changer ?

Jean-Charles Steyger : Depuis plusieurs années, on observe une hausse continue du chômage, avec 1 000 nouveaux inscrits par jour, et une précarisation croissante des chômeurs, dont une part substantielle est sortie du dispositif d’indemnisation. Il y a aussi le problème de halo du chômage : on compte 2 millions de personnes non inscrites qui sont en recherche d’emploi, soit un total de 9 millions de chômeurs. À peine 190 000 chômeurs sont intensivement suivis par Pôle emploi, il en reste donc plusieurs millions à ne pas l’être suffisamment, voire pas du tout.

Sur la cartographie des chômeurs, la majorité d’entre eux sont des femmes. S’ajoutent d’autres discriminations sur le marché du travail, fondées sur l’origine territoriale ou le niveau de qualification. Ces catégories méritent plus de moyens que les autres, mais aucune politique volontariste n’est menée, du fait du manque de moyens financiers. Si on compare avec le service public de l’emploi de nos voisins européens, on voit que Pôle emploi est sous-doté par rapport à l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne.

Nous avons aussi un problème de présence sur l’ensemble du territoire français. Au moment de la fusion, il y avait 1 700 agences, qui comprenaient les Assedic et les ANPE. Aujourd’hui il n’y en a plus que 900 et Jean Bassères, le directeur général de Pôle emploi, continue à vouloir en supprimer de la carte du maillage territorial de l’agence. Des zones sont complètement désertées, comme le Limousin, la Creuse mais aussi des centres-villes de mégapoles comme Nantes et Bordeaux. Il y a donc un gros problème d’accessibilité en raison d’un choix d’organisation territoriale basé sur une logique de gains financiers. C’est d’ailleurs cette logique qui explique que Pôle emploi a perdu 20 % d’offres d’emploi en un an. Certes, la crise économique est là, mais il y a aussi un désinvestissement : c’est le privé qui alimente les offres d’emploi à l’agence. C’est une forme de privatisation qui ne dit pas son nom.

Va-t-on vers une privatisation totale de Pôle emploi ?

Un grand projet est prêt à être déployé dès le 1er janvier 2015. Un milliard d’euros seront dédiés à la sous-traitance de l’accompagnement des chômeurs les plus proches de l’emploi. Un milliard d’euro, c’est combien d’emplois réels au service de la population ? Que va devenir Pôle emploi ? Un lieu où on s’inscrit, où on indemnise et où on contrôle ? Cela ne peut pas être que ça. Qui va suivre ceux qui sont loin de l’emploi ? Pôle emploi peut le faire, si on nous donne les formations nécessaires pour avoir une approche globale des chômeurs, pour qu’on puisse agir sur les difficultés financières, de logement et de santé.

Nous craignons une régionalisation des compétences qui relèvent de l’emploi, de l’orientation et de la formation. En interne, cela aurait pour conséquence une restriction du champ d’intervention des agents et du service public. L’autre conséquence serait une inégalité entre chômeurs en fonction des territoires. Dans une région riche, l’offre de formation serait bien plus forte et diversifiée que dans une région pauvre. Les mégapoles finiraient par absorber toutes les capacités d’insertion et de formation du pays.

Pour prendre en compte l’existence de certaines particularités locales liées au maillage territorial et à l’économie, il faut assurer un socle commun de services publics dans tout le pays.

La direction générale de Pôle emploi et le gouvernement écoutent-ils vos revendications ?

Pendant sa campagne électorale, François Hollande a promis d’épargner le secteur de l’emploi et de renforcer les effectifs de Pôle emploi. 4 000 CDI ont été créés en 2012 et 2013. C’est largement insuffisant. Fin 2013, le directeur général a fièrement annoncé que Pôle emploi avait un excédent budgétaire de 77 millions d’euros. En trois ans, notre financier à la tête de Pôle emploi a été efficace ! Maintenant, il veut accélérer la dématérialisation avec le développement des services à distance, comme les plateformes téléphoniques, et des services en auto-délivrance avec Internet et les bornes en libre-service. Pôle emploi est en train de se désinvestir des missions qui lui ont été confiées.

Cette politique doit s’arrêter. Nous attendons du ministre du Travail, François Rebsamen, un nouveau souffle à Pôle emploi et je pense qu’il a entendu le message, à voir maintenant comment cela va se traduire lors des conclusions de la convention tripartite en cours (entre Pôle emploi, l’État et l’Unedic) et à la conférence sociale. S’agissant de la conférence sociale, nous venons avec des propositions et appelons à un renforcement des moyens du service public, avec la création de 2 000 postes par an jusqu’à la fin du quinquennat, et à une autre politique remettant l’humain au centre des services publics.

Comment ont évolué les conditions de travail des agents de Pôle emploi ?

Elles se sont dégradées depuis la fusion. La plupart des agences manquent de bureaux, d’ordinateurs et d’espace. Les cadences sont contrôlées et font systématiquement l’objet de nouvelles consignes. On est managés comme chez Carrefour. Et il y a la partie invisible, le nombre de suicides. Depuis le 1er janvier 2009, 22 collègues se sont donné la mort. La direction générale est très en colère quand on parle de cela et il n’y a aucune volonté de trouver des solutions équilibrées pour le personnel et pour l’institution. Le bilan social de 2013 montre une augmentation des arrêts maladie et une baisse du taux de présentéisme. Ces maladies sont liées aux conditions de travail.

Il faut réhumaniser l’accueil et arrêter de renvoyer les demandeurs d’emploi sur une plateforme téléphonique ou sur un site Internet. Les conseillers sont formés de façon low cost , en deux mois. Il n’y a plus d’approche psychosociale du demandeur d’emploi et on leur apprend à être opérationnel le plus vite possible pour être productif. S’occuper des chômeurs demande une approche globale, une connaissance du marché du travail, de l’insertion et de l’emploi. Le niveau d’exigence est moins haut et les emplois deviennent déqualifiés. Cela ne permet ni de valoriser les emplois ni de délivrer un service public de qualité. On est en train d’institutionnaliser la polyvalence et de faire disparaître l’expertise. C’est une déliquescence des qualifications et nous avons très peur de ce que cela va donner dans dix ans.

Quel est l’avenir de Pôle emploi ?

L’avenir est extraordinaire si on s’en donne les moyens. Pôle emploi a beaucoup d’atouts, nous avons toutes les missions pour gérer les transitions et l’insertion professionnelles. Mais si on continue dans cette logique financière, il y aura des conséquences pour l’emploi et surtout pour les usagers. La convention tripartite en cours est d’une très grande importance avec notamment la négociation sur la classification des emplois fixant le contenu des activités, les métiers, les déroulements de carrière et les niveaux de rémunérations. Nous voulons la garantie que les emplois qui vont être créés répondront bien aux missions de Pôle emploi, fixées par la loi. Mais cela n’en prend pas le chemin.

Nous ne savons pas jusqu’où ira Jean Bassères en termes de sous-traitance et d’externalisation. En tout cas, dès la rentrée, SNU Pôle emploi appellera le personnel à faire grève pour défendre des conditions de travail dignes, nos métiers, nos missions et nos salaires. L’union syndicale tant attendue est enfin là. Sept syndicats (sur les neufs syndicats à l’échelle nationale) se sont retrouvés sur une plateforme autour des emplois et des missions pour les défendre. Nous mettrons toute notre énergie pour qu’un mouvement spécifique à Pôle emploi aboutisse. Que le directeur général soit averti : l’unité syndicale est extrêmement difficile à défaire sur ce sujet.

Travail
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