Le Off veut lutter sur scène

Plutôt qu’une grève qui les mettrait en danger, les compagnies de la programmation parallèle préfèrent organiser des débats.

Anaïs Heluin  • 3 juillet 2014 abonné·es
Le Off veut lutter sur scène
© Photo : Ludovic Giraudon

« Durant l’ensemble du Festival d’Avignon, le Théâtre du Rictus jouera le troisième volet de sa trilogie Rhapsodie au Grenier à sel. » En des temps plus sereins pour le spectacle vivant, cette affirmation du metteur en scène Laurent Maindon n’aurait pas eu lieu d’être. Aujourd’hui, elle est nécessaire. Vitale, même. «   Si notre spectacle était annulé, la moitié de mon équipe se retrouverait sans statut à la rentrée, car, en un mois, nous signons au total deux cents heures de contrat », précise-t-il. Pas question, donc, de ne pas jouer. Mais pas question non plus de jouer comme si de rien n’était. « Nous, les artistes du Off, avons une responsabilité collective à assumer envers l’ensemble de la profession. Nous devons dire notre opposition à l’accord du 22 mars sur l’assurance chômage, tout en préservant notre outil de travail : le théâtre », poursuit Laurent Maindon, qui, il y a onze ans, fit partie des 13 % d’artistes grévistes. Financièrement, sa compagnie avait alors mis deux ans à se relever de l’annulation de son spectacle. « Et humainement, n’en parlons pas. On ne replie pas un spectacle sans dégâts. » Cette mémoire de 2003, toutes les compagnies la partagent. Pour cela, entre autres, les 1 083 compagnies interrogées par le président du Off ont en grande majorité dit leur désir de jouer. Même celles qui, comme les Chiens de paille, dirigée par la metteure en scène Andréa Brusque et le comédien Simon Fraud, n’étaient pas dans la Cité des Papes cette année-là. «  J’ai été très sensible à l’expérience des compagnies grévistes, qui ont subi des séquelles irrémédiables. Et je ne suis pas la seule. On le ressent au positionnement des artistes du Off, moins hâtif et radical qu’en 2003 », constate celle qui compte bien faire jouer au Chêne noir sa mise en scène de la Fuite, du Chinois Gao Xingjian. Les actions que mèneront le Théâtre du Rictus, les Chiens de paille et bon nombre des compagnies opposées à l’accord du 22 mars seront donc marquées par ce moment-clé de la lutte des intermittents. Reste à définir la nature précise de ces actions.

Le Printemps des comédiens a ouvert le bal en lançant une grève reconductible le 3 juin. Celle-ci a duré 27 jours, aboutissant à une quasi-annulation de l’édition 2014. Annulation ? Grève ? Actions ? Chaque équipe des 75 festivals de l’été s’interroge sur le meilleur moyen d’accompagner la lutte. « Soutenir les intermittents, c’est défendre la culture ! », affichent les Eurockéennes de Belfort (4-6 juillet) depuis le 10 juin, avec une vingtaine d’autres festivals.

Des annulations de spectacles sont à prévoir du fait de grèves, comme ce fut le cas à Montpellier danse, aux Nuits de Fourvière ou au Festival de Marseille. Les salariés du festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence (2-24 juillet) ont voté contre la grève à 80 %. Les intermittents des Rencontres d’Arles devraient se mettre en grève reconductible à partir du 7 juillet

Par ailleurs, une charte des festivals circule depuis le 16 mai, déclarant persona non grata tous les membres du gouvernement. Sous peine de voir le spectacle annulé.

Les réflexions sont en cours au sein des compagnies mais aussi des théâtres, dont beaucoup ont déjà annoncé leur solidarité au mouvement. Alain Timar et Gérard Gélas, directeurs des deux institutions avignonnaises que sont le Théâtre des Halles et le Chêne noir, adoptent la même posture que des lieux de taille plus modeste comme le Grenier à sel ou le théâtre Girasole : à l’écoute des compagnies programmées, ils promettent de leur ouvrir leurs lieux afin d’organiser des rencontres et débats avec le public. «   Ce sera à elles d’en imaginer la forme, en espérant qu’elles évitent le côté didactique et répétitif que peut avoir ce type de prise de parole. Avignon est un lieu festif, et la lutte ne doit pas plomber le festival. Sans quoi le public va fuir, et la catastrophe économique que nous craignons aura lieu », affirme Gérard Gélas qui, en 2003, avait été l’un des rares directeurs de lieux à fermer les portes de son théâtre. Bien sûr, fait remarquer Alain Timar, « entre les loueurs de salles et les lieux qui, comme nous, fonctionnent selon un système de coréalisation sans minimum garanti, le Off recouvre des réalités financières très diverses ». Difficile de savoir quelle sera la réaction de ces loueurs de salles qui, tant que les compagnies sont présentes, sont assurés d’un certain revenu. D’où le «   risque d’observer une scission parmi les intermittents du Off ». Même crainte chez Laurent Maindon et Andréa Brusque, qui, faute de pouvoir suivre les artistes du In dans une grève probable, souhaitent qu’aient lieu des discussions à l’échelle du Off. « En 2003, les différents théâtres ne sont que très peu entrés en concertation. Or, l’unanimité protège, et nous avons besoin de nous protéger un maximum. » Tout en faisant comprendre au public que jouer n’est pas synonyme d’indifférence à la lutte en cours. Au contraire. « Jouer, c’est refuser la censure qu’on tente de nous imposer en mettant en danger notre statut. D’autant plus que nous sommes nombreux à mettre en scène des textes ancrés dans le contemporain, porteurs d’un point de vue critique », explique Andréa Brusque. Laquelle compte organiser des débats autour de sa pièce pour bien lier geste artistique et engagement. Mais chez elle non plus, pas de forme prédéfinie : tout se jouera en Avignon.

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Intermittents : La bataille d'Avignon
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