Les banques au rapport

Éric Toussaint livre un outil indispensable pour comprendre un système fauteur de crise.

Thierry Brun  • 17 juillet 2014 abonné·es

En dehors des manuels à caractère technique destinés aux étudiants en finances, rares sont les ouvrages consacrés aux banques. Même chez les économistes critiques du système capitaliste, le monde bancaire est peu étudié en tant que tel. Et, quand il l’est, c’est le plus souvent de façon superficielle. Avec Bancocratie, le système est enfin passé à la loupe. Éric Toussaint, politologue et président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde de Belgique (CADTM), donne ainsi les clés pour comprendre un monde où le pouvoir est détenu par les dirigeants des grandes banques et leurs actionnaires.

Le livre débute au moment de l’explosion des dettes privées aux États-Unis, en 2007 et 2008. Une crise qui, en réalité, remonte aux années 1990. Car, aux États-Unis et dans plusieurs économies européennes, la croissance est soutenue par une hypertrophie du secteur financier privé et par une redoutable augmentation des dettes privées (celle des ménages comme celle des entreprises financières et non financières). Cette financiarisation à tout-va découle notamment de l’abandon de la séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires, mais aussi de la création des banques universelles, qui réunissent les deux fonctions. Les banques transforment librement les crédits qu’elles consentent en titres financiers, qu’elles revendent, au prix de dangereuses spéculations. L’auteur puise également dans les études, analyses et rapports officiels – pourtant fortement imprégnés de la pensée dominante – pour mettre à nu les mécanismes qui consistent à augmenter les profits et à échapper aux réglementations bancaires existantes en créant des sociétés financières et en utilisant les paradis fiscaux de façon très intensive. Il montre que les banques persistent à dissimuler les risques qu’elles prennent dans le « hors-bilan [^2] », « comme quelqu’un qui, pour nettoyer, cacherait la poussière sous le tapis ». Ainsi, sept ans après le début de la crise, et six ans après l’engagement d’un retour à davantage de réglementation, rien de sérieux n’a été mis en place. Le lobbying intense des banques vide de toute efficacité les projets de cloisonnement des activités, tant aux États-Unis et en Grande-Bretagne que dans l’Union européenne.

Le métier de la banque est trop essentiel à l’économie pour être laissé entre les mains d’un secteur privé qui agit en toute impunité, affirme Éric Toussaint. Il rappelle que les banques, tout comme la monnaie et le crédit, sont des outils au service de la collectivité, et qu’à ce titre elles doivent être regroupées au sein d’un vaste service public bancaire afin de servir l’intérêt de tous. Elles doivent surtout être placées sous le contrôle citoyen de leurs salariés, des clients, des représentants des associations, ainsi que des élus.

[^2]: Le hors-bilan assure le suivi comptable d’une activité de financement, notamment des produits financiers dérivés, ne figurant pas au bilan de l’entreprise, que ce soit à l’actif ou au passif.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

La gauche et la méritocratie : une longue histoire
Méritocratie 17 décembre 2025 abonné·es

La gauche et la méritocratie : une longue histoire

Les progressistes ont longtemps mis en avant les vertus de l’école républicaine pour franchir les barrières sociales. Mais le néolibéralisme dominant laisse peu de chances aux enfants des classes populaires de s’extirper de leur milieu d’origine.
Par Olivier Doubre
Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »

Dans un entretien croisé, Kaoutar Harchi, autrice et sociologue, et Dylan Ayissi, président de l’association Une voie pour tous, remettent en question la notion de mérite dans un système scolaire traversé par de profondes inégalités.
Par Kamélia Ouaïssa et Hugo Boursier
« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »

Sociopolitiste et historien, Antoine Idier analyse les enjeux de la proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 », en passe d’être votée ce jeudi 18 décembre 2025 par l’Assemblée nationale.
Par Olivier Doubre
Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier