Pesticides : les riverains disent non !

Alors que les dommages sanitaires et environnementaux de la chimie agricole s’amplifient, l’opposition dépasse désormais les milieux agricoles
et militants pour mobiliser le public. Une pétition demande l’interdiction des pulvérisations à proximité des habitations.

Patrick Piro  • 3 juillet 2014 abonné·es
Pesticides : les riverains disent non !

En dix jours, plus de 110 000 personnes ont signé la pétition de Générations futures. Lancée le 20 juin, elle appelle les députés à soutenir l’interdiction de pulvériser des pesticides le long des habitations et des écoles ^2.

François Veillerette, porte-parole de l’association, signale une recrudescence, au printemps, d’appels de parents inquiets constatant qu’eux et leurs enfants inhalent la chimie épandue dans les champs voisins. « Les cultures s’approchent de plus en plus des bâtiments, les habitants constatent qu’ils sont exposés alors que les ouvriers agricoles travaillent avec des protections. » Début mai, émoi en Gironde : une vingtaine d’élèves et une institutrice de Villeneuve ont été pris de malaises après l’épandage d’un fongicide sur des vignes. Plus récemment, 1 400 généralistes ont apporté leur soutien à l’association Alerte des médecins limousins sur les pesticides, qui réclame l’exclusion des produits déréglant le système hormonal (perturbateurs endocriniens), cause potentielle de cancers, de diabètes, de troubles reproductifs ou neurologiques, d’allergies, dont ils constatent l’augmentation [^3]. Le lien de cause à effet n’est désormais plus douteux. Aussi, les industriels de l’agrochimie se retranchent derrière la nécessité, pour les utilisateurs, de se protéger et de respecter les dosages. Cette ligne de défense s’effrite aujourd’hui sérieusement. En effet, des études mettent en évidence que les résidus des produits utilisés ne se cantonnent pas à l’eau et aux sols. Une récente étude menée par Air Paca sur cinq sites de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur montre que l’air des zones agricoles étudiées est largement contaminé en pesticides, et que les villes voisines n’y échappent pas, même si les teneurs sont moindres. Point sensible : les épandages aériens. Ils sont en principe interdits, mais de nombreuses dérogations sont accordées, suscitant les plaintes de riverains. En Californie, des chercheurs de l’Université Davis viennent de conclure que les enfants de femmes enceintes exposées à certains types de pesticides, jusqu’à près de deux kilomètres des zones d’épandage, avaient un risque accru de 60 % d’être touchés par l’autisme ou des retards de développement. Par ailleurs, une analyse menée par le CNRS sur 800 publications parues au cours des deux dernières décennies noircit le tableau des pesticides dits « systémiques » (les néonicotinoïdes et le Fipronil). Alors qu’il est prouvé qu’ils jouent un rôle dans l’épidémie de mortalité des abeilles, ils affecteraient aussi les papillons, les vers de terre (essentiels à la fertilité des sols), les poissons et les oiseaux. « Les preuves sont claires, nous sommes face à une menace qui pèse sur la productivité de notre milieu naturel et agricole », conclut Jean-Marc Bonmatin, l’un des auteurs. La bataille gagne l’opinion publique alors que les députés viennent d’examiner le projet de loi sur la biodiversité et qu’ils se préparent, les 7 et 8 juillet, à la seconde lecture du texte sur l’avenir de l’agriculture. Des amendements adoptés en commission ont suscité des résistances dans les rangs de l’opposition et de la FNSEA, principal syndicat d’agriculteurs, très remonté contre les « contraintes » environnementales.

Côté biodiversité, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, demande que la loi visant à interdire les produits phytosanitaires aux structures publiques et aux particuliers pour l’entretien des espaces verts prenne effet dès mai 2016 au lieu de début 2020. Près de 4 000 communes ont déjà renoncé partiellement ou totalement à la chimie, mesure bien comprise par la population et à moindres remous : les agriculteurs ne sont pas concernés. Or, ce n’est plus le cas avec l’amendement qu’a fait adopter le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, sous la pression montante de l’opinion publique : on ne pourra pulvériser aux abords des lieux « sensibles » (écoles, crèches, parcs publics, hôpitaux, maisons de retraite) que si ces derniers ont été protégés par des haies ou des dispositifs adéquats, ou s’il n’y a pas de risque d’atteindre des personnes vulnérables. À défaut, le préfet pourra interdire les pulvérisations sur une bande, que Ségolène Royal souhaite large de 200 mètres. «Cette disposition, bien que peu contraignante en l’état, a le mérite de reconnaître le principe d’interdiction», souligne François Veillerette. La FNSEA l’a bien compris, auteur d’une série d’actions le 24 juin, dont l’une s’est soldée par le début d’incendie d’un bâtiment des services de l’État à Besançon. De plus, Ségolène Royal vient de faire adopter un amendement pour interdire sans délai les épandages aériens pour le maïs doux, le maïs pop-corn et la banane (la situation est très tendue dans les Antilles), puis, plus tard, pour certains vignobles et cultures de riz. Ce n’est pas du goût de la profession agricole, qui se retranche derrière un avis récent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui recommande frileusement la prudence sur les épandages, alors que des dizaines de témoignages très documentés montrent que l’arrêté les interdisant quand le vent est trop fort est insuffisamment respecté. Les associations, de leur côté, sont bien décidées à exploiter le début de mobilisation de l’opinion pour modifier le rapport de force, alors que le débat parlementaire sur la loi d’avenir pour l’agriculture ne s’achèvera qu’à l’automne.

[^2]: www.generations-futures.fr

[^3]: Voir Politis du 15 mai 2014.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes

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