L’Argentine, proie des fonds vautours

Une solution serait la mise en place de tribunaux des dettes.

Dominique Plihon  • 28 août 2014 abonné·es

Fin juillet, la justice états-unienne a donné raison à des fonds vautours qui exigent que l’Argentine rembourse sa dette au prix fort. Cette décision scandaleuse a pour objet de sanctionner l’Argentine pour la gestion non orthodoxe de sa dette. En 2001, après des années de crise, le président Nestor Kirchner décide de faire défaut sur la dette souveraine, alors d’une centaine de milliards de dollars. Cette décision a contribué à sortir l’Argentine de la crise. En 2005 et en 2010, le gouvernement est parvenu à restructurer une partie de sa dette : 93 % des créanciers ont accepté une décote de 70 % sur leurs titres. Des fonds vautours ont refusé et se sont lancés dans une guérilla juridique. Le fonds NML a acheté à la casse 50 millions de dollars de titres argentins, et exige que l’Argentine lui rembourse plus de 800 millions de dollars, soit un profit de 1 500 % !

Si l’Argentine paie aux fonds vautours la dette « plein pot », tous les autres créanciers réclameront d’être remboursés sans la décote. En application de la clause « Rufo », qui impose un traitement équitable entre créanciers. La facture pourrait alors dépasser 100 milliards de dollars… La première victime serait le peuple argentin. Le cas argentin est inquiétant pour deux raisons. D’une part, une faible minorité de créanciers peut empêcher le bon déroulement de restructurations acceptées par la majorité des créanciers. D’autre part, la justice états-unienne tend à s’imposer à tous les créanciers alors qu’une partie de la dette argentine a été contractée en euros et en droit européen. La jurisprudence états-unienne pourrait donc influencer les tribunaux étrangers, et renforcer à l’avenir la position des fonds vautours ainsi que celle des autres catégories d’investisseurs. Le FMI, pourtant en général défenseur des créanciers, en appelle à une réflexion sur un mécanisme international de restructuration des dettes plus protecteur pour les pays débiteurs.

Faciliter la restructuration des dettes souveraines signifie que les pays surendettés obtiennent une réduction des charges d’intérêt, un allongement des échéances, voire une annulation d’une partie de leur dette si celle-ci est devenue insoutenable. Le cas de la Grèce en 2012 et en 2014 fournit une bonne illustration de ces restructurations nécessaires. Plusieurs solutions existent. La première est l’application de « clauses d’actions collectives » (CAC). Les CAC stipulent que, si la majorité des créanciers d’un pays sont d’accord pour restructurer sa dette, cette décision s’impose à tous les créanciers. Ce qui rendrait impossible à l’avenir les opérations prédatrices des fonds vautours. Les autorités européennes ont décidé l’application des CAC à partir de 2013, ce qui est déjà un progrès.

Une deuxième solution est la mise en place de « tribunaux des dettes souveraines » dans lesquels créanciers et débiteurs seraient représentés. Ils permettraient de régler les conflits par le droit international, et non pas national. Pour éviter de faire payer les peuples, il faut créer un tribunal européen de la dette, comportant des juges mais également des organisations de la société civile, s’appuyant sur un audit citoyen et contradictoire des dettes publiques tel que celui qui vient d’être mené en France [^2].

[^2]: « Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France » , Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), mai 2014, www.audit-citoyen.org

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