Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables»

Dernier volet de notre entretien avec Daniel Ibanez, opposant français au projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin. Ce lanceur d’alerte livre un éclairage inédit sur l’un des plus gros chantiers européens.

Thierry Brun  • 14 août 2014
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Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables»
© Photo : AFP/PHILIPPE DESMAZES

Outre les aspects techniques concernant l’utilisation de la ligne ferroviaire existante entre la France et l’Italie, ce dernier volet de notre entretien avec Daniel Ibanez aborde la question de la rentabilité et du coût du projet de liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin. La Cour des comptes a montré dans un référé sur le projet, daté de 2012, que celui-ci n’a cessé d’augmenter depuis qu’il a été présenté.

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Référé sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, 1er août 2012

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables»

Michel Destot, député socialiste de l’Isère, rapporteur du projet de loi autorisant la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin (adopté le 18 novembre 2013), a communiqué un montant qui se distingue de celui publié par la Cour des comptes.

Le 26 février 2013, lors de l’assemblée générale du Comité pour la liaison européenne transalpine (CLT), organisme de lobbying présidé par Franck Riboud, PDG de Danone, Michel Destot a indiqué que « plus de 13 milliards d’euros » seront consacrés à la nouvelle ligne ferroviaire pour la période 2014-2020, « soit 5 milliards de plus que sur la période précédente. Cette augmentation sensible augure d’une importante mobilisation des fonds européens pour le financement du Lyon-Turin » .

En outre, le député socialiste a ajouté qu’au-delà « des textes législatifs actuellement à l’étude en France comme en Italie, des premières actions concrètes étaient d’ores et déjà engagées puisqu’un appel d’offre était en cours pour la réalisation de la première partie du tunnel de base » . Or, la Cour des comptes a rappelé qu’une certification indépendante des coûts doit être effectuée :

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables»

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Référé sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, 1er août 2012

Ce n’est que le 23 juillet, en plein été, qu’un appel d’offre a été lancé par la société Lyon Turin ferroviaire (LTF), maître d’ouvrage du plus gros chantier européen, sur la « certification des coûts du projet de la section transfrontalière de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin » .

Voici la suite de notre entretien.

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Crédit photo : DR

Les promoteurs de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin soulignent que la ligne historique existante Dijon-Modane culmine à 1 300 mètres. De fortes rampes rendent son exploitation très coûteuse, voire techniquement difficile. Est-il possible de faire monter des trains de fret jusqu’à Modane ?

Daniel Ibanez : Le Saint-Gothard en Suisse, une ligne ferroviaire de montagne avec un tunnel simple tube comme le nôtre, date de 1874. Cette ligne qui culmine à 1 150 mètres d’altitude, alors que Modane est à 1 058 mètres, transporte et fait transiter entre la Suisse et l’Italie jusqu’à 17 millions de tonnes de marchandises (voir graphiques ci-dessous).

Il neige sur cette ligne, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous, et pourtant cela fonctionne avec deux motrices de traction et une motrice de pousse dans les mêmes conditions d’exploitation que la ligne ferroviaire Dijon-Modane !

Les chiffres du fret ferroviaire ci-dessous sont consultables sur le site Internet de l’Office fédéral des transports suisses.

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Rapport sur le transfert du trafic de novembre 2013, Conseil confédéral suisse

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Rapport sur le transfert du trafic de novembre 2013, Conseil confédéral suisse

L’utilisation de la ligne existante est-elle plus compétitive que le grand projet de LGV Lyon-Turin ?

En matière de compétitivité, les pro lyon-Turin devront présenter une estimation de ce qu’il faudra payer pour amortir sur 60 ans un projet à 30 milliards d’euros. Cela n’a jamais été calculé. Personne ne sait quel sera le prix du billet sur un trajet Paris-Turin ou Paris-Milan pour rembourser cette ligne en 100 ans, Louis Besson, le père du projet, l’a avoué en janvier 2013.

J’ai pour ma part réalisé une estimation. Sur 100 ans d’amortissement, nous avons encore 14 milliards d’euros de perte au meilleur tarif, avec une prévision surévaluée. Savez-vous quelle était la prévision du nombre de voyageurs annoncée en mai 1991 par Louis Besson, alors ministre des Transports ? 19 millions sur le projet Lyon-Turin. En 1993, la prévision n’était plus que de 10 millions. Dans la récente enquête publique, nous n’en sommes plus qu’à 4 millions…

Il faudra nous expliquer comment payer le grand projet de Lyon-Turin avec 4 millions de passagers, pour autant qu’on y arrive ! Il serait intéressant de connaître le prix du billet de TGV…

Pour remplir un train entre Paris et l’Italie, il faut des arrêts. Aujourd’hui, la ligne actuelle met 6 h 50. On nous dit que la nouvelle ligne mettra 4 h 15, sans préciser que pour remplir un train à destination de Milan, il faudra des arrêts et donc plus de temps. Si on met 6 h 50 aujourd’hui, c’est parce qu’il y a 9 arrêts et trois trains par jour dans chaque sens. Si on met 20 trains, on aura du mal à les remplir, même si ça va plus vite le temps de parcours pour Milan sera d’au minimum cinq heures.

Le hic, c’est qu’à plus de 4 heures, les businessmen ne prennent pas le train mais l’avion pour une heure de trajet. La nouvelle ligne ne sera donc pas plus compétitive que l’avion. C’est certes regrettable, mais un billet de train Paris-Milan ou Paris-Turin, c’est 260 euros aller et retour et c’est 180 euros par avion avec des compagnies aériennes comme Alitalia et Air France qui ne sont pas des compagnies low cost .

Tous les éléments objectifs montrent qu’il ne sera pas possible de remplir les trains de la nouvelle ligne, que le train sur une ligne entièrement amortie coûte déjà 260 euros aller et retour. Le Lyon-Turin ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables.

Analyse du projet de loi autorisant la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, adopté le 18 novembre 2013

Analyse du projet de loi autorisant la réalisation et l’exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin publié par brun1

Les opposants dénoncent un projet ruineux dont le coût serait estimé à plus de 26 milliards d’euros. Ce chiffre est contesté et jugé peu fiable. A moyen terme, le coût ne dépasserait pas 10 milliards d’euros. Le Lyon-Turin est-il si coûteux ?

L’évaluation, jugée fantaisiste par les pro Lyon-Turin, émane de la direction du Trésor, qui a annoncé 26,1 milliards d’euros de coût. Mais cherchons une autre source. Dans l’enquête publique du Lyon-Turin, RFF, dont Hubert du Mesnil est l’ancien dirigeant et actuellement le président de LTF, annonçait 24 milliards d’euros en valeur 2009. Ce chiffre nécessite une actualisation financière qui nous amène à ce qui a été annoncé par la direction du Trésor.

Notre projet de « bon sens » pour l’utilisation immédiate de la ligne existante qui passe par Dijon, Ambérieu, Modane et va ensuite en Italie permet de réduire le nombre de camions de 80 % alors que les objectifs de l’Union européenne fixe à 50 % le taux de transport de marchandises par le train à l’horizon 2050.

Le doublement des lignes ferroviaires pour Annecy et Chambéry permet d’augmenter le nombre de trains voyageurs en diminuant le temps de parcours a été chiffré à 1,5 milliard d’euros, cela permettra de diminuer le nombre de voitures responsables de 80 % de la pollution. Voilà les urgences.

La cour des comptes pointe la faible rentabilité socio-économique

Illustration - Lyon-Turin: «Le projet ne sera jamais rentable et sera payé par les contribuables» - Référé sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, 1er août 2012

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Société
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