« Siddharth », de Richie Mehta : Nocturne indien

Dans Siddharth , de Richie Mehta, un père se met à la recherche de son jeune fils disparu.

Christophe Kantcheff  • 27 août 2014 abonné·es
« Siddharth », de Richie Mehta : Nocturne indien
© **Siddharth** , Richie Mehta, 1 h 36. Photo : Siddarth Production

Quel sort le public réservera-t-il à Siddharth, signé par un réalisateur canadien, Richie Mehta, qui a tourné dans son pays d’origine, l’Inde ? Malgré une sortie modeste – l’économie du cinéma étant ce qu’elle est –, on aimerait qu’un maximum de spectateurs puisse avoir accès à ce film. Celui-ci porte en effet une émotion d’une évidence et d’une qualité peu communes, sans le dolorisme que son sujet pourrait induire. En quelques minutes, les données dramaturgiques sont exposées. Un père, Mahendra (Rajesh Tailang), réparateur de fermetures éclair dans les rues de Delhi, envoie son fils de 12 ans, Siddharth, travailler loin, à Mumbai (Bombay), ses revenus ne suffisant pas à faire vivre convenablement sa femme (Tannishtha Chatterjee) et ses enfants – il a aussi une petite fille. Le travail des enfants est courant en Inde, bien que théoriquement illégal. Mais quand Siddharth est censé être de retour chez lui, il ne revient pas et ne donne plus de nouvelles. Il a disparu depuis quinze jours de son travail et a peut-être échoué dans un lieu, Dongri, où se retrouvent des enfants enlevés.

Cette histoire, relatée un jour au cinéaste dans les rues de Delhi par un conducteur de tricycle ayant perdu son fils, qui lui demandait s’il savait où se trouvait Dongri, est d’abord racontée du point de vue des parents de Siddharth, des parents très aimants. « Que faire ? » est bien sûr la question qui se pose à eux. Et à travers cette question, Richie Mehta évoque aussi l’Inde d’aujourd’hui. La première démarche du père, Mahendra, est de s’adresser à la police. Il est reçu dans un commissariat pour sa déposition, mais la séquence ne s’en tient pas là. Le bouleversement du père s’exprime dans son incapacité à faire une description de son fils autre que celle-ci : « Peau foncée, cheveux courts coiffés sur le côté. » Réplique de la policière : « Vous décrivez là tous les garçons de 12 ans en Inde. » D’autant que Mahendra n’a pas de photo de Siddharth à fournir. Il faut cette disparition pour que Mahendra et sa femme se rendent compte qu’ils n’ont jamais photographié leurs enfants – mais on devine que ce geste n’a jamais paru nécessaire à Mahendra, ses enfants ayant toujours été à ses côtés. Il fait preuve en outre d’un usage distancié du téléphone portable, objet précieux pour cette famille, dont il confie la manipulation à sa fille, plus habile. Sans doute aussi parce que ni Mahendra ni sa femme ne semblent savoir écrire. Voilà qui pourrait apparaître comme des détails dans cette histoire. Il n’en est rien. Ces choses racontent avec subtilité, sans pathos, une angoisse, un sentiment de culpabilité et une situation sociale démunie. Mahendra se lance sur la piste de son fils, à Mumbai puis à Dongri, dont la localisation lui est donnée par une femme élégante dont il répare le sac : elle a facilement le renseignement grâce à son portable – là encore, le niveau social est précisé par ces petites indications. Pour Mahendra, l’enquête est pleine d’embûches, le coût des voyages, à partir de Delhi, étant à chaque fois un problème auquel il doit trouver une solution. Mahendra enjoint ainsi à sa femme de travailler – il lui apprend ce qu’il sait faire, réparer les fermetures éclair – pour qu’elle puisse le remplacer. Ce qui est une forme d’émancipation pour elle.

En même temps que la piste de son fils semble s’évanouir à mesure que Mahendra avance, celui-ci touche du doigt de façon tangible le sort peu enviable que les enfants enlevés en Inde peuvent connaître. Son voyage à Dongri ressemble à une lente descente au bord de l’enfer. Il est aussi un lent parcours vers un constat douloureux. Même quand il aborde le pire, Richie Mehta garde une retenue qui fait toute la beauté éthique de son film. Y compris dans sa manière de filmer, le cinéaste esquisse plus qu’il ne dévoile. Siddharth possède comme un monde intérieur, auquel le spectateur accède peu à peu, gagné par le sentiment d’être en présence d’une œuvre d’une très profonde délicatesse.

Cinéma
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