Front de gauche : L’avenir à quitte ou double

Les différentes composantes du mouvement et leurs sympathisants se réunissent ce week-end à Montreuil pour tenter une « redynamisation » et un « élargissement ».

Patrick Piro  et  Pauline Graulle  • 4 septembre 2014 abonné·es
Front de gauche : L’avenir à quitte ou double
© Photo : Michael Bunel / NurPhoto / AFP

«L e Front de gauche est mort, mais personne n’est disposé à signer l’acte de décès. Voilà ce que tout le monde pense ici », résume un cadre d’Ensemble !, qui préfère tout de même rester anonyme. « On se demande même si nous n’allons pas être les seuls à rester », ironise la syndicaliste Sophie Zafari, qui participait elle aussi à l’université de la troisième composante principale du Front de gauche (voir p. 12).

Pour les militants de son mouvement, comme pour ceux du PCF et du Parti de gauche (PG), la réponse ne devrait pas trop tarder : rendez-vous leur est donné samedi 6 septembre, à Montreuil (93), pour une « réunion nationale » que nul ne sait comment dénommer – la première en tout cas depuis la crise ouverte par les municipales l’hiver dernier. On attend quelque 250 personnes –  « autant de militants que d’intellectuels et de syndicalistes non encartés », avance Éric Coquerel pour le PG –, une sorte de séance de rattrapage pour un Front de gauche qui a échoué cette année à organiser une université d’été commune à ses composantes. « Nous avons attendu jusqu’à mi-juillet, en vain, une réponse de nos partenaires sur le projet d’une journée de débats en commun », déplore Jean-François Pellissier, l’un des porte-parole d’Ensemble !. « La panne », déplore l’eurodéputée non encartée Marie-Christine Vergiat. Avant l’implosion ? Car si tous en appellent à la « redynamisation » et à « l’élargissement » du Front de gauche dans la tourmente politique actuelle –  « Je ne vois pas l’intérêt de détruire cet outil », veut raisonner Clémentine Autain, l’une des porte-parole d’Ensemble ! –, l’optimisme n’est pas de mise au regard d’évolutions stratégiques de plus en plus divergentes. Le PCF mène des discussions avec Europe écologie-Les Verts (EELV) et les frondeurs du PS, et le PG s’engage derrière l’ambition de Jean-Luc Mélenchon de susciter un mouvement populaire en faveur d’une VIe République, qui passerait par-dessus le Front de gauche.

Sur la couverture, un réveil sur fond jaune fluo. Prolongation d’un appel paru en juillet dans Libération, le petit livre jaune (Gauche, ne plus tarder !, éd. Arcane 17, 50 euros) est un véritable vade-mecum dans la séquence politique qui s’ouvre. Plus que jamais attendus pour offrir une alternative crédible à la mutation néolibérale du PS, treize militants de la gauche de gauche ont pris la plume : du « socialiste affligé » Philippe Marlière à la porte-parole d’Ensemble ! (E !) Myriam Martin en passant par la Verte Élise Lowy, Marie-Christine Vergiat, du Front de gauche, ou Danielle Simonnet, du Parti de gauche… « On pourrait, pour une fois, arrêter de reproduire les scénarios habituels qui mènent dans le mur la gauche de gauche », lance Leïla Chaibi (PG). Pour Clémentine Autain (E !), ce défi du rassemblement ne réussira qu’à la condition d’une « appropriation populaire de cet espace politique ». Mais aussi, en « renonçant aux sectarismes » et en acceptant de « mettre de côté les ego », ajoute la militante féministe (ex-PS) Caroline De Haas. « En France comme en Grèce, conclut la communiste Marie-Pierre Vieu, nous avons à gagner cette bataille du leadership à gauche. » Pour construire, ensemble, un Syriza à la française.

Un débat d’apparence technique cerne les clivages : le Front de gauche, actuellement limité à un cartel de partis, doit-il s’ouvrir à l’adhésion directe de militants ? Ensemble ! y est favorable –  « C’est dans nos gènes mouvementistes », estime Clémentine Autain, qui ajoute que les mouvements sociaux ainsi que le monde intellectuel et culturel seraient les bienvenus. Le PG y pousse aussi, mais avec d’autres modalités et ambitions. « Il faut élargir au peuple et construire un mouvement de masse ayant vocation à devenir majoritaire dans les urnes », défend Martine Billard, ex-coprésidente. Éric Coquerel, secrétaire national du PG, appuie en faveur d’une ligne distincte de la politique actuelle donnée au nom de la gauche : « On ne va pas repartir pour un an de polémique, il nous faut une stratégie commune. » Francis Parny, communiste plutôt proche des idées du PG, soutient : « On a changé d’époque, l’histoire de l’union de la gauche, c’est fini. L’enjeu, désormais, c’est de devenir le Syriza français, à l’image de ce qu’ont réalisé les forces de gauche en Grèce, en rassemblant le plus largement possible. »

Une voie qui ressemble à une dilution pure et simple du Front de gauche au service de l’ambition de Jean-Luc Mélenchon, redoutent ses partenaires. « Nous ne croyons pas à l’émergence d’un “leader maximo” qui se présenterait face au peuple dans un face-à-face direct », se méfie Clémentine Autain. Avec diplomatie, Marie-Pierre Vieu, au PCF, rejette aussi cette perspective. « La question n’est pas d’attendre 2017, mais de savoir comment agir dès cette rentrée politique. » Christian Picquet, animateur du petit courant Gauche unitaire, se montre proche de cette voie. « Le Front de gauche doit peser comme une aile marchante d’une nouvelle union de la gauche, aux côtés d’EELV et des frondeurs du PS. Il ne sert à rien d’essayer de rechercher une synthèse a minima entre les lignes. » À l’université d’été d’Ensemble !, interpellation de Sébastien Teulé, secrétaire départemental du PG dans les Landes : « Pierre Laurent, êtes-vous oui ou non en faveur de l’adhésion directe de militants au Front de gauche ? » Et le secrétaire national de geler la question. « Il y a débat chez nous, la porte n’est pas fermée. Encore faut-il inventer une manière efficace de fonctionner sans créer de nouveaux enjeux de pouvoir… » Le Front de gauche « version 1 » est sans doute mort et enterré en cette fin de mois d’août. Reste à savoir s’il aura la capacité de se réinventer.

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