Hôpital, ta santé fout l’camp !

Une manifestation nationale a été organisée à Paris le 23 septembre par la Convergence des hôpitaux en lutte contre l’Hôstérité. Les personnels témoignent de l’état critique des hôpitaux publics.

Thierry Brun  • 24 septembre 2014
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Hôpital, ta santé fout l’camp !
© Photos : CITIZENSIDE/NICOLAS KOVARIK & CITIZENSIDE/ANTHONY DEPERRAZ

Devant le ministère de la Santé , protégé par des CRS, Karine, infirmière en gériatrie et syndiquée à la CGT, décrit son inquiétude :

« La permanence des soins n’est plus assurée le soir et le week-end. On est dans le grand n’importe quoi. Il n’y a pas de suivi du patient. Cela entraîne de gros risques en gériatrie. Les patients en fin de vie sont alignés dans un service de 36 lits. »

Karine a 30 ans de pratique, dont 12 au centre hospitalier de Villiers-Saint-Denis, à Château-Thierry (Aisne), un établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic), à but non lucratif, avec 600 salariés. « C’est un établissement pilote pour la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) , ajoute Karine. Les comptes de l’établissement sont en équilibre, mais cela veut dire que l’on perd des emplois. » L’infirmière ajoute que ses collègues sont souvent en arrêt de travail et qu’il y a des risques de burn out .

« J’ai moi-même eu 15 jours d’arrêt de travail. Les conditions de travail et de prise en charge sont déplorables. Les usagers ont peur d’aller à l’hôpital car il y a une véritable restriction de la prise en charge : si vous avez un accident le soir, vous vous retrouvez à Amiens, à plus de 200 kilomètres ! Les gros pépins sont camouflés. Nous avons des exemples à la pelle. »

Karine suit le mouvement depuis la première assemblée générale qui a réuni des représentants des hôpitaux, syndiqués et non syndiqués, organisée à Caen en avril. Le 23 septembre, les représentants de plus de 80 hôpitaux étaient dans la manifestation nationale, selon les organisateurs, avec une quinzaine de comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, qui rassemblent hospitaliers et usagers.

« On doit faire des économies pour payer le pacte de responsabilité »

Quelques praticiens hospitaliers , venus notamment d’Orléans et de Caen, sont armés de pancartes : « Hôpital en danger, psychologues révoltés » . Aux abords de la manifestation, des piles de tracts sont posées sur des tables, alertant sur l’état déplorable d’hôpitaux, comme ceux de Bichat à Paris et de Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine). À Poissy (Yvelines), le centre hospitalier intercommunal « est à la ramasse , lance Isabelle, une aide-soignante. On manque de personnel. Des services sont fermés et un plan social déguisé doit supprimer 140 postes sur trois ans » , dans un hôpital où travaillent près de 3 000 personnes.

« De 1 200 lits, nous sommes passé à 600, ce qui favorise le privé , ajoute Jean-Michel Orsini, infirmier et syndicaliste SUD Santé-Sociaux, membre du conseil de surveillance de l’hôpital de Poissy. Nous, on garde l’offre lourde, c’est-à-dire la réanimation, les urgences, qui ne sont pas rentables. Pour le reste, comme la chirurgie, il faut aller en clinique privée, mais si vous n’êtes pas bien couvert par une assurance et capable de payer des dépassements d’honoraires, vous irez vous faire voir ailleurs ! »

Au CHU de Toulouse , Julien Terrié, manipulateur en radiologie et syndicaliste CGT, annonce que « 130 licenciements sont prévus. Il s’agit de CDD qui étaient sur des postes pérennes dans un hôpital de 15 000 salariés, en comptant les médecins. Et l’hôpital verse 16 millions d’euros d’intérêts aux banques privées à la suite d’emprunts pour assurer les fins de mois, soit l’équivalent du déficit » .

Les personnels hospitaliers n'ont pas l'intention de s'arrêter là (CITIZENSIDE/YANN KORBI)

Peu convaincue par la volonté gouvernementale de maintenir un système de santé de qualité, Karine résume la situation : « Du temps de Roselyne Bachelot [ex-ministre de la Santé sous la présidence de Nicolas Sarkozy], on nous parlait du trou de la Sécu, maintenant on doit faire des économies pour payer le pacte de responsabilité. » Jean-Michel Orsini renchérit :

« On nous dit qu’il faut être rentable. Mais c’est un non-sens absolu. C’est impossible à tenir ! Venez dans nos locaux, vous verrez à quel point ils sont dégradés. Les faux plafonds sont pourris et nous tombent sur la tête. Les ascenseurs sont en panne, obsolètes et donc pas réparables. Notre hôpital est l’archétype de ce qu’il ne faudrait pas faire dans un établissement public. Et nous sommes en déficit de 100 millions d’euros ! »

40 heures payés 35

Des représentants du secteur social et médico-social étaient présents dans la manifestation. « Nous avons subi des restructurations qui ont provoqué des suppressions d’emplois et la casse des garanties collectives de l’activité sanitaire, sociale et médico-sociale du fait des réductions de financement des conseils généraux et de l’État , détaille Olivier Pira, qui travaille dans une association de protection de l’enfance dans le Nord. Nous sommes aussi financés à 60 % par la Sécurité sociale et indissociables du secteur hospitalier. »

« À Poissy, les directeurs ont tous fait la même politique, c’est-à-dire mettre en place des plans de retour à l’équilibre , explique Jean-Michel Orsini. Le centre hospitalier ne peut plus investir pour améliorer la qualité du service public. La finalité de cette gestion est de flinguer le service public afin d’aboutir à la privatisation. On réduit le temps d’examen dans le service de radiologie pour en faire plus au détriment de la qualité des soins. Tout va comme ça, cela s’appelle le “remaquettage” des pôles et cela consiste à faire plus avec moins. »

Les directions des hôpitaux publics appliquent progressivement « l’assouplissement des 35 heures » proposé par la président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux. « On veut limiter à 15 le nombre de RTT, ce qui fait que nous travaillerons 40 heures payées 35, explique Jean-Michel Orsini. Les fonctionnaires qui participent à cette manifestation ont aussi perdu en moyenne près de 10 % de leur pouvoir d’achat. »

« Nous sommes dans une phase de construction du mouvement.** On ne s’arrêtera pas là »* , ont prévenu les participants à l’assemblée générale qui s’est tenue dans l’amphithéâtre Dieulafoy, à l’hôpital Cochin après la manifestation. La Convergence des hôpitaux en lutte contre l’Hôstérité a voté sa participation à la journée d’action et de manifestation du 16 octobre, à l’appel de la CGT, à l’occasion du débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015, qui doit contenir de nouvelles réductions de dépenses, notamment dans les hôpitaux.

Les participants ont aussi prévu de s’adresser aux citoyens dans une lettre et des tracts, et ont adopté le principe d’une action nationale de convergence des établissements de santé et médico-sociaux après le 16 octobre.

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