Nos aînés sont-ils respectés ?

L’Assemblée nationale a adopté le 17 septembre le projet de loi « sur l’adaptation de la société au vieillissement ». Totalement sous-dimensionné, selon Jérôme Pellissier.

Jérôme Pellissier  • 25 septembre 2014 abonné·es
Nos aînés sont-ils respectés ?
© **Jérôme Pellissier** est écrivain, docteur et chercheur en psycho-gérontologie. Photo : Carsten Koall/Getty Images/AFP

Adapter la société au vieillissement est une ambition à la hauteur des enjeux. Évoquons seulement deux réalités, à peine pensables il y a cinquante ans. Premièrement, l’existence, désormais, de très nombreuses personnes qui sont à la fois à la retraite et en bonne santé. Une nouvelle étape de vie face à laquelle les politiques ne proposent généralement comme horizon socioculturel que des « ateliers mémoire » pour prévenir l’Alzheimer ou des « ateliers équilibre » pour prévenir les chutes… Une nouvelle étape de vie qui impliquerait de repenser radicalement la sacro-sainte trinité « formation/travail/retraite » et de tenir compte des pratiques de nombreux retraités qui, d’associations en mairies, tiennent à bout de bras le tissu social du pays. Au lieu de quoi, la loi ne prévoit que des mesurettes, telle la création d’un « volontariat civique senior » pour « valoriser l’engagement bénévole des personnes âgées » par « la remise d’un certificat en préfecture ». Avec médaille en chocolat ?

Deuxième réalité, inédite dans l’histoire de nos sociétés : de nombreuses personnes vivent avec des maladies chroniques et/ou invalidantes (cancer, diabète, maladies neurologiques – dont la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées), en situation de handicap, ayant besoin d’être aidées. Parmi ces personnes, évidemment, des personnes âgées qui souffrent d’abord d’être victimes d’un système discriminatoire. Un système que le PS s’était engagé à supprimer, et qui sépare les personnes handicapées de moins de 60 ans de celles de plus de 60 ans, dites « personnes âgées dépendantes ». Cette discrimination n’est pas supprimée par la loi qui vient d’être votée. Le dispositif réservé aux « vieux handicapés » (APA) brille par ses manques, ses insuffisances et son incapacité à répondre convenablement aux besoins. À cela, la nouvelle loi ne change quasiment rien. Actuellement, toutes les personnes âgées, pauvres et handicapées ayant besoin d’être aidées et soignées cinq, dix ou quinze heures par jour, ne le sont pas ou le sont par des proches. À toutes ces personnes, que propose la loi ? Un relèvement du plafond qui, pour les personnes les plus handicapées – celles qui ont souvent besoin d’être aidées plus de dix heures par jour –, fera passer les heures d’aide quotidienne de trois à quatre environ…

Besoin de vivre dans une maison de retraite ? Coût moyen : entre 2 200 et 2 800 euros par mois. Moyenne des retraites : 1 100 euros (et cette moyenne cache celle des femmes, bien plus basse). Sur ce volet, rien dans la nouvelle loi. Et donc la persistance de ces situations de personnes ayant besoin d’être soignées et aidées dans des établissements et, faute de moyens, restant sous-soignées et sous-aidées à domicile. La loi annonce la prise en compte des « aidants », ces conjoints de personnes âgées handicapées ou atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui les assistent en général 24 h sur 24, sans être eux-mêmes soutenus. Des situations d’épuisement telles, sur des années, que ces aidants meurent très souvent avant ceux qu’ils aident ! Que leur propose la loi, qui affirme « instaurer enfin le droit au répit »  ? Une aide annuelle de 500 euros pour, par exemple, « partir une semaine en vacances »  ! Précisons que les mesurettes que nous venons d’évoquer se veulent les mesures phares de la loi. Laquelle contient une autre particularité : elle sera financée par la Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa), une taxe sur les retraites. Autrement dit, ce sont les seuls retraités qui vont payer pour les dépenses liées aux maladies chroniques et aux handicaps des personnes de plus de 60 ans. À quand une taxe sur les allocations de chômage pour financer les aides et soins des chômeurs malades ou handicapés ? Ou une taxe sur les salaires des femmes de moins de 50 ans pour financer les maternités ? C’est le principe même du financement des risques sociaux par l’ensemble de la communauté qui est dégradé.

Les arguments avancés pour justifier qu’une réformette soit l’aboutissement d’une « loi d’adaptation de la société »  ? Le premier est financier. Pensez : il faudrait au moins 4 ou 5 milliards d’euros [^2] pour que les malades âgés et/ou handicapés soient, en France, correctement aidés et soignés ! Où diable dégotterait-on une telle somme quand on ne trouve que 60 milliards pour aider et soigner la « compétitivité des entreprises »… ? Deuxième argument, celui de la secrétaire d’État aux Personnes âgées, Laurence Rossignol, affirmant le 17 septembre que « mieux, c’est toujours plus que rien ». Implacable, comme un slogan de lessive. L’écart entre les réels besoins et ces fausses réponses se révèle tellement important qu’oser parler de « mieux » en devient une insulte. Et une imposture de faire passer pour de la solidarité ce qui n’est qu’une forme de charité. Il n’est pas sûr que ce mieux-là soit vraiment « plus que rien ». Et pas sûr que, politiquement, la nullité de cette loi soit vraiment mieux que le vide.

[^2]: C’est environ le montant des réductions fiscales et sociales dont bénéficient les 10 % les plus aisés des Français utilisateurs des services à la personne, selon une étude de la Dares (août 2014).

Société
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