Visa pour l’image : L’art de raconter des histoires…

À Perpignan, Visa pour l’image propose sa 26e édition. Un regard posé sur l’actualité et des récits humains au fil du monde.

Jean-Claude Renard  • 4 septembre 2014 abonné·es

Le 8 novembre 2013. Aux Philippines, un typhon s’abat sur la petite ville de Tacloban, à la vitesse de 315 km/h. Dès le lendemain, une équipe de l’AFP est sur place. C’est un paysage de désolation dans lequel circulent hébétés les rescapés. Ils attendent les secours au milieu de décombres gigantesques, d’un vaste champ de ruines, effrayant mikado de tôles froissées, de maisons crevées, de cadavres soufflés. Les équipes médicales comptent les morts, emballés dans des sacs. Plus de 8 000. L’équipe de l’AFP, constituée de cinq photographes, a débarqué dans l’un des premiers avions militaires philippins envoyés sur la zone. Elle travaille alors avec les moyens du bord. Pas de courant pour alimenter les ordinateurs, ni de réseau pour les portables. Un générateur retrouvé dans une masure déglinguée muée en poste de commandement fournira aux reporters l’électricité nécessaire à la transmission de leurs images. Pas facile métier. Les catastrophes naturelles et écologiques, les guerres, les conflits, les tragédies marquant le monde, tel est le lot de chaque édition de Visa pour l’image, festival international de photojournalisme. Cette 26e édition n’y échappe pas, à côté de projections nocturnes, avec une bonne vingtaine d’expositions, présentées dans différents lieux historiques de la cité.

Parmi les plus marquantes, figurent les reportages de Maxim Dondyuk et de Guillaume Herbaut, en Ukraine, aux images flirtant avec l’irréel, ou une hallucination du réel, les travaux de Pierre Terdjman, William Daniels et Michaël Zumstein, en Centrafrique, et diverses rétrospectives. D’une part le regard (méconnu) des photographes vietnamiens sur leur guerre, entre 1966 et 1975, et d’autre part des rétros consacrées aux photographes « morts au champ d’honneur » de l’information, Chris Hondros et Anja Niedringhaus. Pour le coup, on peut regretter l’absence de la Syrie dans cette édition (s’il y avait besoin de rappeler les disparitions d’Olivier Voisin et de Rémi Ochlik, non pas qu’il faille parler de la Syrie parce que des photographes y misent leur peau). La Syrie n’aura droit qu’à une projection spéciale le samedi 6 septembre au soir.

Mais Visa, ou plus précisément le photojournalisme, c’est aussi savoir raconter une histoire en images. Comme Jorge Silva et William Daniels (ce dernier étant doublement exposé, donc). Le premier s’est installé à Caracas en janvier 2014 pour se consacrer à la tour de David : un gratte-ciel de 45 étages dominant la ville, imaginé par un financier, David Brillembourg, puis abandonné et squatté. Le bâtiment possède ses règles, d’entrée, de sortie, d’entretien. On y maintient l’ordre et la rigueur, dans la solidarité. Silva cadre les activités au sein de la tour, ses petits métiers, ses distractions, des prises vertigineuses, en long, large, travers dans l’architecture géométrique bétonnée des lieux et les intérieurs. Autant d’impressions de « fenêtres sur cour ». Autre sujet qui se prête à la narration, celui du « train des oubliés », rapporté par William Daniels. Un train parcourant l’Extrême-Orient russe sur plus de 4 000 kilomètres, formant la ligne Baïkal-Amour Magistrale (BAM), née d’un vaste projet de conquête soviétique, au cœur de la taïga, dans les années 1970-1980, et attirant des milliers de pionniers. En 1991, tout s’est arrêté. Les habitants au long de la BAM sont restés sur le carreau, isolés, au bout des diables Vauvert. L’exode a suivi. Pour ceux qui restent, c’est à ne pas y tenir. Les autorités ont mis en place un train médical parcourant la ligne. William Daniels est monté à bord, rendant compte de ses petites scènes ordinaires, en cadrant au carré ses personnages, médecins, patients, infirmiers, jusqu’au cuisinier. Toute une vie le long d’espaces fantômes, de villages engloutis dans l’oubli.

Culture
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