Allemagne : Le Smic, c’est trop pour la droite

L’économie du pays connaît un ralentissement. L’occasion pour une partie de la droite de remettre en cause les rares avancées sociales du gouvernement. Correspondance à Berlin, Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 30 octobre 2014 abonné·es
Allemagne : Le Smic, c’est trop pour la droite
© Photo : AFP PHOTO / CLEMENS BILAN

L’Allemagne n’est plus cet îlot de bonne santé économique au milieu d’une Europe en crise. Les derniers chiffres de la conjoncture, annoncés le 9 octobre, prévoient une croissance à 1,3 % pour 2014 et à 1,2 % pour 2015. Des perspectives en baisse. En février, les prévisions étaient encore de 1,8 % pour cette année. La production allemande a baissé de 4 % en août, le plus fort recul depuis janvier 2009. Et les exportations ont chuté de près de 6 % le même mois. Le ralentissement est assez net pour que les quatre principaux instituts d’analyse économique allemands [^2] appellent Berlin à plus d’investissements pour soutenir l’économie. Sans succès. Les demandes des ministres français de l’Économie et des Finances, Emmanuel Macron et Michel Sapin, en visite à Berlin le 20 octobre, ont en effet reçu un accueil plus que réservé de la part de leurs homologues allemands. Macron et Sapin étaient venus avec un chiffre : 50 milliards d’euros, que l’Allemagne devrait mettre sur la table en compensation du plan de 50 milliards d’économies en France. Ils sont repartis avec une vague promesse du ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel, de s’engager « dans des investissements pour une Europe plus compétitive » .

Pire, pour toute une partie de la droite allemande, ces mauvais chiffres sont l’occasion de remettre en cause les quelques avancées sociales de l’actuel gouvernement. Car la coalition entre le parti de Merkel et les sociaux-démocrates (SPD), au pouvoir depuis un peu moins d’un an, a adopté, sous la pression du SPD, quelques mesures de justice sociale : salaire minimum pour tous à 8,50 euros bruts de l’heure, possibilité de partir en retraite à 63 ans pour les longues carrières, projet sur la parité dans la gouvernance des entreprises. Mais voilà que, depuis début octobre, les attaques fusent dans la presse, à la droite d’Angela Merkel, contre ces projets en partie déjà passés devant le Parlement. « Nous devons éviter tout ce qui pèserait encore plus sur l’économie », a déclaré la députée bavaroise Gerda Hasselfeldt. Dans son viseur : le projet de loi prévoyant un quota de 30 % de femmes dans les conseils de surveillance des entreprises cotées en Bourse. Un quota « insensé » pour Peter Ramsauer, ancien ministre de Merkel, lui aussi élu au Bundestag. Il l’a martelé le 15 octobre à la radio publique Deutschlandfunk. Tout en attaquant, comme d’autres de ses collègues, la loi déjà en vigueur qui permet de partir à la retraite sans décote à 63 ans, après 45 années de cotisations. La mesure revient juste un pas en arrière sur la réforme de 2007, qui avait fait passer l’âge légal à 67 ans. Même la loi phare du nouveau gouvernement Merkel est prise pour cible : le salaire minimum interprofessionnel de 8,50 euros bruts de l’heure. Cette loi doit entrer en vigueur en janvier 2015, mais des exceptions subsisteront jusqu’en 2017 : les salaires de branches négociés ces dernières années qui sont sous le niveau des 8,50 euros perdureront jusqu’à cette date. D’un euro inférieur au Smic français, ce salaire minimum devrait profiter à un salarié sur cinq, selon l’institut d’analyses économiques de la fondation Hans-Böckler, proche des syndicats. Pas de quoi convaincre Peter Ramsauer. Pour lui, compte tenu de la situation économique, « le salaire minimum fait partie des choses qui peuvent attendre ». L’ancien ministre envisage donc « un report, ou même un abandon », du projet.

Dans ces attaques, c’est l’ensemble de l’accord conclu l’an dernier entre le parti de Merkel et les sociaux-démocrates pour former un gouvernement qui est remis en cause. Reste que, pour l’instant, Merkel n’a pas réagi. Sauf à défendre les projets encore en discussion, comme celui sur la parité. « La droite bavaroise est surtout dans une position défensive face aux demandes faites à l’Allemagne par la France, par d’autres pays européens et par le FMI d’investir plus pour contrer le ralentissement économique, analyse Wolfgang Ulleneberg, chargé des questions politique à la confédération syndicale des services Verdi. Mais la loi sur le salaire minimum est votée. Elle ne bougera pas. Nous nous battons maintenant pour qu’elle soit respectée. Ce qui est dangereux, c’est que ce genre de propos laisse croire à des entreprises qu’elles peuvent esquiver. » L’Allemagne prévoit d’embaucher 1 600 inspecteurs de plus dans les prochaines années pour veiller au paiement du salaire minimum dans les entreprises du pays.

[^2]: Tout comme le FMI, dans son « World economic outlook » d’octobre 2014 : « L’Allemagne pourrait se permettre de financer des investissements publics […] sans contrevenir à ses règles d’équilibre budgétaire. »

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