C’est quoi, être de gauche ? Roland Gori : « Réinventer la démocratie »

**Roland Gori** , psychanalyste, initiateur de l’Appel des appels.

Roland Gori  • 30 octobre 2014 abonné·es
C’est quoi, être de gauche ? Roland Gori : « Réinventer la démocratie »

«Être de gauche » – expression à géométrie variable, brouillant parfois les frontières idéologiques – signifie aujourd’hui pour moi le refus de la fatalité économique conduisant les citoyens et les gouvernants à la résignation politique des démocraties libérales européennes.

Face aux effets de la troisième révolution industrielle, à l’espace mondialisé où elle s’accomplit, face aux contradictions entre les principes démocratiques d’égalité, de liberté, de solidarité et les servitudes réelles que le capitalisme financier exige, être de gauche, c’est refuser la misère de masse à laquelle conduit la mise sous curatelle technico-­financière de nos sociétés. C’est refuser que la valeur soit soluble dans la pensée des affaires et dans la logique de domination sociale des procédures abstraites, formelles et quantifiées.

Aucun calcul ne justifie qu’aujourd’hui en France des femmes et des hommes, des enfants, des ados, des jeunes et des vieux vivent et meurent, seuls, dans la rue. Ils sont les symptômes et les martyrs de notre maladie sociale, et le visage de notre angoisse d’exister. Or, rien ne justifie que la production des richesses collectives s’accompagne de ces nouvelles formes de misères matérielles autant que symboliques. Ce que j’appelle la prolétarisation généralisée des existences, que favorise l’usage des nouvelles technologies.

Être de gauche aujourd’hui, c’est aussi refuser que l’État et les services publics se conforment de manière grotesque et inefficace à une logique de marché qui les transforme en prestataires de services commerciaux et financiers, propulsés à la conquête de parts de marchés illusoires. La culture, la santé, l’éducation, la justice, la police, l’information ne sont pas des fabriques de déficit, ce sont des dispositifs construisant une « humanité qui n’existe pas encore, ou à peine », comme disait Jaurès.

Il faut faire des choix, réhabiliter un débat démocratique sinistré, prendre le temps d’échanger des expériences, réhabiliter la parole et le récit pour un partage du sensible, inventer une nouvelle manière de vivre dignement ensemble. À distance du pessimisme social qui ­nourrit les ­mouvements ­nationaux-populistes, germes des totalitarismes et des impérialismes d’hier et de demain, lorsque les gouvernements (néo)libéraux se discréditent, « être de gauche » aujourd’hui pourrait bien signifier réinventer la démocratie.

Les hommes ne naissent pas naturellement et socialement égaux, ils le deviennent par ­l’action ­conjuguée de l’éducation, de la loi et de la culture. C’est, depuis l’origine, l’honneur de la démocratie de transformer les individus inégaux à leur naissance en citoyens épris d’égalité, de liberté et de solidarité. Encore faut-il qu’ils trouvent dans cette aventure démocratique l’occasion de donner un sens à leur existence.

Politique
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