L’immortalité, vous dis-je !

Une réécriture à la fois classique et moderne du Malade imaginaire, par Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien.

Gilles Costaz  • 2 octobre 2014 abonné·es
L’immortalité, vous dis-je !
© **La Grande Nouvelle** , La Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Paris, 01 43 28 36 36. Jusqu’au 12 octobre. Photo : Antonia Bozzi

Ils ne manquent pas de culot, Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien. Ils réécrivent Molière ! Ils ont reconsidéré le Malade imaginaire et ils ont tout changé, ne gardant aucun mot du texte original pour faire vraiment œuvre d’auteurs avec la Grande Nouvelle. La situation demeure la même. Le bourgeois Argan passe son temps à se soigner, écrasant ainsi sa famille, et particulièrement sa fille, dont il oublie de se préoccuper. Mais il ne se sent pas véritablement malade, bien qu’il ait peur de toute infection. Il a reçu la « grande nouvelle » qui l’a enflammé : grâce à la recherche médicale, l’homme va pouvoir vivre plus longtemps. Argan a donc décidé de vivre mille ans, puisque certains savants (ou charlatans) avancent ce chiffre. Et tant pis pour ceux qui n’en ont pas les moyens ! Tant pis pour eux qui se verront privés de la cagnotte familiale ! Lui, Argan, dépensera l’argent qu’il faudra. Avec une armée de médecins et des traitements par centaines, il atteindra le millénaire.

L’action se passe donc aujourd’hui. Et non demain – car certains chercheurs californiens (qui ont sans doute inspiré les auteurs) et certaines sectes travaillent déjà à cette utopie : la prolongation de la vie au-delà des limites connues du vieillissement. Bauer et Adrien ont en conséquence changé une partie de l’entourage d’Argan. Les Diafoirus sont à présent des hommes d’affaires qui traficotent dans le monde des laboratoires et soignent autant le corps d’Argan que son portefeuille. Argan, comme chez Molière, est remarié avec une femme qui n’a que faire de la jeune fille née d’un premier mariage. Mais, à présent, cette épouse est d’un sexe indéterminé (on ne saurait tout révéler) ; elle est surtout l’objet d’opérations qui la transforment à volonté pour être conforme aux désirs et aux capacités sexuelles d’un homme promis à une sorte d’immortalité mais fort dépendant du viagra ! La farce est grosse mais, si les farces ne grossissent pas le trait, elles ne sont plus des farces. Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien, metteur en scène qui semblait avoir renoncé à l’écriture après d’excellents débuts d’auteur il y a trente ans, n’ont pas fait dans la dentelle. Ils y vont à la hache, gonflent les conflits à l’hélium et parsèment d’un peu de sang quelques explosions de douleur. La mise en scène d’Adrien alterne les scènes d’une joyeuse satire, les moments de souffrance et les délires en vidéo de la science en marche. Cela fonctionne en tranches, par à-coups, comme un film que le projecteur déroule en tressautant. Patrick Paroux, qui joue l’Argan des temps modernes, emmène la soirée dans une merveilleuse fébrilité, tel un de Funès qui ne serait pas toujours branché sur le courant de l’exaltation. Lison Pennec joue la fille malheureuse avec une belle intensité ; elle donne, dans un fort contrepoint, de l’émotion à un ensemble qui joue sur d’autres cordes que celle-là. Nathalie Mann, en épouse remodelée par la chirurgie esthétique, s’impose comme une folle variation des clichés de la vamp ; déjà grande mais allongée par ses talons hauts, elle est surprenante et hilarante.

Les autres partenaires, Arno Chevrier, Jean-Marie Galey, Pierre Lefebvre et Jean-Charles Delaume, sont plus proches de la bonhomie et de la sagesse des habituels personnages de Molière. On sait, là, être à la fois classique et moderne. Voilà qui proclame bien, dans une série d’éclats de rire, le grand message contemporain : aimons-nous nous-mêmes avant d’aimer les autres !

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes