S’en revenant de guerre

Laurent Bécue-Renard a suivi des combattants d’Irak ou d’Afghanistan.

Jean-Claude Renard  • 23 octobre 2014 abonné·es

Comment filmer la guerre ? Comment la raconter sans planter sa caméra sur un front, suivre une escouade, se glisser dans l’entrelacs des uniformes et des armes, sans se faire reporter de guerre ? Pari difficile. Et un parti tenté par Laurent Bécue-Renard. Le réalisateur s’est rendu dans un centre de prise en charge pour anciens combattants, au Pathway Home, en Californie. Il a suivi douze soldats de retour du front, d’Irak et d’Afghanistan. D’abord cinq mois, sans caméra, bâtissant une relation de confiance avec les patients et l’équipe thérapeutique, sous la houlette d’un vétéran du Vietnam, puis revenant à plusieurs reprises, quatre années durant, entre 2008 et 2013.

Étiré dans le temps, arc-bouté sur le quotidien des soldats, Of Men and War ( Des hommes et de la guerre ) reste concentré sur la vie commune de ces hommes dans le centre, partageant leurs séances de thérapie. Séances âpres, douloureuses, intenses. Parce que ce sont autant d’hommes qui ont dérouillé sur le champ de bataille, otages de leur propre guerre, minés par de frais démons, rongés par la culpabilité. Trempés de traumatismes qui se reportent sur leurs proches, annihilent tout retour à la vie. Pour eux, il s’agit maintenant de négocier avec la mort, d’extirper les souvenirs tenaces à travers les mots, des mots qui se cherchent, butent dans les couloirs de la mémoire, dans un huis-clos étouffant. Laurent Bécue-Renard aurait pu recourir aux images d’archives. Il évite cette facilité. On n’en entend pas moins les balles siffler, le martèlement des tirs de roquette, on n’y sent pas moins les chairs martyrisées. Précisément parce que le propos tient sur le verbe. Un verbe pris au collet, avec une caméra au plus près des corps, réussissant un remarquable tableau de la guerre et de ses conséquences tragiques.

Cinéma
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