Tribune : Intermittence et solidarités

Nous devons penser ensemble ce qui fait l’intérêt général, ce qui fait bien commun, et le penser hors du prisme libéral.

Patricia Coler  et  Sébastien Cornu  • 9 octobre 2014
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Tribune : Intermittence et solidarités
© **Patricia Coler** , **Sébastien Cornu** . Déléguée générale et président de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (Ufisc). Photo : Geoffroy Van der Hasselt / Anadolu Agency / AFP

Oui, nous étions dans la rue le 1er octobre pour signifier au gouvernement notre volonté de faire entendre nos propositions pour une réforme juste et soutenable du régime d’indemnisation chômage. Elles ont été élaborées et partagées au sein du comité de suivi parlementaire sur l’intermittence, qui réunit depuis 2003 élus et organisations professionnelles représentant salariés et entreprises des secteurs artistiques et culturels. Ces propositions forment un contre-modèle en quatre axes : principe de mutualisation, égalité de traitement, consultation démocratique et nouveau mode de financement. Mené depuis dix ans, ce travail est largement reconnu. Le président de la République lui-même le soutenait en 2004.

Pourtant, aujourd’hui, la nouvelle convention d’indemnisation chômage, largement dénoncée, se met en place. Son application entraîne des complexités inextricables  : droits rechargeables, différé, articulation difficile entre les régimes [[Particulièrement pour les femmes enceintes. Le collectif des Matermittentes travaille à proposer des nouvelles règles.
Voir www.matermittentes.com]]… Plus fondamentalement, la logique d’assurance privée du risque de chômage qu’elle sous-tend fragilise les plus vulnérables, renforce les inégalités et casse les solidarités. Aussi, nous portons nos propositions au sein de la « mission de concertation » voulue par le Premier ministre « pour bâtir un cadre stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle   ». La prise en charge par l’État du différé d’indemnisation pour les salariés intermittents ne résout aucune problématique de fond, voire organise un précédent contre le principe de solidarité interprofessionnelle. La vigilance est plus que jamais de mise, car, disons-le, la question est politique avant d’être financière [^2]. D’autant plus dans un contexte marqué par le pacte de responsabilité, les débats sur la sécurité sociale, la loi sur la sécurisation de l’emploi, celles sur la démocratie sociale et la formation professionnelle, etc. Cet accord doit aussi être mis en perspective avec le modèle social européen qui se dessine peu à peu. Le développement d’un marché européen de l’emploi nécessite des processus d’harmonisation. Les systèmes de protection sociale des pays (sécurité sociale, indemnisation chômage, santé, retraite…) sont alors interrogés. À travers quel prisme ?

Le traité européen affirme la construction politique d’une Europe solidaire, assise sur la dignité de la personne. Pourtant, la précédente Commission européenne, via les directives et stratégies de libéralisation successives, a dérégulé, abîmé les droits des personnes. Ce phénomène sera amplifié par les accords commerciaux transatlantiques négociés de façon opaque par la Commission européenne avec le Canada (Ceta) et les États-Unis (Tafta), qui font passer l’intérêt des investisseurs et l’appropriation des entreprises multinationales avant les droits fondamentaux (voir p. 13). Attention, ici aussi, les exceptions ne tiendront pas bien longtemps [^3] !

Que ce soit pour l’art et la culture, ** l’éducation, la santé ou la protection sociale, la dignité des personnes dépasse la seule figure du consommateur/producteur de biens et de services. La construction politique de l’Europe ne peut se réduire à un marché unique, fondé sur une régulation concurrentielle et un intérêt général utilitariste. Pour consolider notre modèle social et le faire évoluer au regard des transformations profondes qui travaillent nos sociétés, il est de notre responsabilité de penser ensemble ce qui fait l’intérêt général, ce qui fait bien commun, et de le penser hors du prisme de l’économie productiviste et libérale. Il faut sortir de la mesure du vivre-ensemble à l’aune d’indicateurs uniquement financiers. Il est urgent de prendre en compte les parcours de vie, dans leur diversité et leur richesse, et de refonder une organisation de nos systèmes qui traduise une nouvelle solidarité démocratique, interprofessionnelle, interterritoriale et intergénérationnelle. 

[^2]: Nous demandons le chiffrage, à partir des données brutes, des propositions du comité de suivi, dont le modèle financier n’est pas plus risqué ou déficitaire que le système issu de la réforme de 2003, qui se poursuit en 2014.

[^3]: Une journée européenne d’action se tient le 11 octobre, avec des actions en région et une manifestation à Paris. Voir www.collectifstoptafta.org

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