Tribune : Ne pas oublier Gaza

Le Tribunal Russell a tenu une nouvelle session à Bruxelles, un mois après la fin de l’offensive israélienne en Palestine.

Franck Barat  • 2 octobre 2014
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Tribune : Ne pas oublier Gaza
© **Franck Barat** est coordinateur du Tribunal Russell sur la Palestine. Photo : AFP PHOTO / MOHAMMED ABED

L’aurait-on déjà oublié, alors que les médias se tournent vers d’autres massacres ? Entre le 8 juillet et le 26 août, ce sont quelque 720 tonnes de munitions qui se sont abattues sur Gaza pendant l’opération dite « Bordure protectrice », soit deux tonnes au kilomètre carré. Le bilan de ce déluge de feu sur l’une des zones les plus peuplées du monde devrait marquer les consciences : 2 188 Palestiniens ont perdu la vie, dont 1 658 civils ; plus de 11 231 personnes ont été gravement blessées, alors que 18 000 maisons ont été détruites ou endommagées.

Devant un tel désastre, et face à l’inertie complice des grandes puissances, le Tribunal Russell sur la Palestine, qui s’était déjà réuni à cinq reprises entre 2009 et 2013, a tenu une session extraordinaire à Bruxelles les 24 et 25 septembre. De nombreuses personnalités avaient accepté de figurer au sein du jury de ce tribunal d’opinion imaginé jadis par le mathématicien et humaniste Bertrand Russell pour dénoncer les crimes américains au Vietnam : Michael Mansfield, Ken Loach, Vandana Shiva, Ahdaf Soueif, Christiane Hessel, Roger Waters, Ronnie Kasrils, Radhia Nasraoui, Miguel Angel Estrella, Richard Falk, John Dugard et Paul Laverty. Témoins, juristes et spécialistes en armement se sont succédé devant plus de cinq cents personnes venues du monde entier. Le juriste sud-africain John Dugard a rappelé que la bande de Gaza, malgré le départ des colons et de l’armée en 2005, reste un territoire sous occupation, soumis à un siège, Israël détenant les clés de cette prison à ciel ouvert et contrôlant les entrées, les sorties, les registres de population, ainsi que l’espace aérien et maritime. Le colonel irlandais Desmond Travers, un des rédacteurs du rapport Goldstone de 2010, a évoqué la doctrine « Dahiyah », qui consiste à organiser une attaque d’une magnitude disproportionnée afin de graver dans la mémoire des survivants le souvenir du prix à payer lorsque l’on résiste à l’armée israélienne. Le journaliste canadien David Sheen, établi en Israël, où il collabore à Haaretz, s’est inquiété de la montée d’un discours d’incitation à la haine et au crime contre les Palestiniens au sein de la société israélienne. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène récent, il a souligné qu’un discours ouvertement raciste était aujourd’hui accepté en Israël. À tel point que certaines figures publiques majeures, même issues des franges les plus « libérales », justifient régulièrement le massacre de civils palestiniens. David Sheen a, par ailleurs, indiqué que ce discours ne se limitait désormais plus à une certaine partie de l’opinion publique, mais qu’on le retrouvait dans tous les secteurs de la société israélienne, des religieux aux responsables politiques en passant par les journalistes et les universitaires. Un récent sondage a révélé que 95 % de la population israélienne approuvait les opérations militaires de l’été.

Le journaliste palestinien Mohammed Omer s’est appuyé sur trois situations dont il a été témoin pour illustrer le recours à certaines pratiques employées par l’armée israélienne : l’usage de Palestiniens comme boucliers humains, les exécutions sommaires de civils et l’interdiction de se déplacer faite aux ambulances et aux services de la Croix-Rouge. Ivan Karakashian, de l’organisation Defense for Children International, a confirmé ce témoignage. Les médecins Mads Gilbert et Mohammed Abou Arab, qui travaillaient à Gaza durant l’opération Bordure protectrice (et pendant l’opération Plomb durci, en 2009-2010), ont évoqué la destruction en masse des infrastructures hospitalières et les attaques sur le personnel médical (17 des 32 hôpitaux de Gaza ont été détruits au cours de l’été). Le jury a estimé que le discours employé à différents niveaux de la société israélienne pendant l’été 2014 avait atteint le seuil nécessaire pour que l’on retienne la qualification « d’incitation directe et publique au génocide ».

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