À l’image de la droite

L’UMP risque de se donner pour chef un homme qui incarne toutes ses contradictions. En prétendant rassembler, il divise.

Michel Soudais  • 27 novembre 2014 abonné·es
À l’image de la droite
© Photo : CITIZENSIDE/NICOLAS LIPONNE/AFP

Sauf surprise, Nicolas Sarkozy devrait récupérer la présidence de l’UMP samedi soir. Depuis sa déclaration de candidature, l’ancien chef de l’État fait figure d’archi-favori face aux deux autres candidats. Le député-maire de Crest (Drôme), Hervé Mariton, 56 ans, ultralibéral et farouchement conservateur – il fut l’un des parlementaires les plus en pointe contre le mariage pour tous –, fait de la figuration. La candidature de Bruno Le Maire, 45 ans, député de l’Eure, ancien coordinateur du projet de l’UMP en 2012, est plus sérieuse. Sans toutefois paraître en mesure de rivaliser avec celle de l’ancien président de la République. À celui-ci, les grands médias ont déroulé le tapis rouge de la complaisance. Après avoir feuilletonné son retour des mois durant, ils ont passé sous silence son bilan, et ses ennuis judiciaires. En revanche, chacune de ses apparitions est réputée par ces derniers de portée nationale dans la perspective de… 2017. Mais s’il n’est pas douteux que Nicolas Sarkozy veuille ardemment prendre sa revanche à l’issue du quinquennat de François Hollande, à l’étape qui se présente, l’ancien chef de l’État concentre les contradictions de la droite française. Après le calamiteux épisode de la rivalité Fillon-Copé pour la présidence de l’UMP, après les révélations sur l’affaire Bygmalion et la démission de Jean-François Copé, ses sympathisants aspirent au rassemblement. Depuis son retour sur le devant de la scène, il y a un peu plus de deux mois, Nicolas Sarkozy n’a de cesse de se présenter comme le seul capable de mettre un terme aux divisions de l’UMP et d’apparaître comme l’unique candidat capable de rassembler toutes les sensibilités de cette famille politique déchirée. C’est ainsi qu’il a fait mine de croire que François Fillon, dont il rappelle régulièrement avec condescendance qu’il a été son « collaborateur » pendant cinq ans, n’avait nullement demandé au secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, de hâter les procédures judiciaires qui le visent.

Cette image apaisante d’un Sarkozy rassembleur s’est toutefois brisée samedi dernier à Bordeaux. Nicolas Sarkozy n’a pas esquissé le moindre geste quand une partie de la salle, tout acquise à sa personne, a hué et sifflé Alain Juppé, lequel évoquait la nécessité d’une union de la droite et du centre en 2017. C’est pourtant à sa demande insistante que le maire de Bordeaux avait accepté de participer à cette réunion-traquenard, qui a toutes les chances de rester dans les mémoires comme celle où la droite a renoué avec la « guerre des chefs ». Dans la lignée des rivalités Chirac-Balladur, Sarkozy-Villepin ou encore Chirac-Giscard. Cet épisode, largement commenté, a occulté le discours de Nicolas Sarkozy. Notamment son spectaculaire revirement sur l’Europe, sujet qui écartèle la droite entre deux pôles : « Je veux que l’on supprime 50 % des compétences de l’Europe actuelle. Le reste doit être rendu aux États. » Cela rassurera peut-être les souverainistes qui voudraient oublier ce que le traité de Lisbonne et le traité budgétaire européen, appelé « traité Merkozy », doivent à l’ancien président de la République. Mais cet euroscepticisme a déjà réveillé l’hostilité des centristes à son égard et à son retour. Le silence des pro-européens de l’UMP surprend. N’accorderaient-ils déjà aucun crédit à ce que peut dire Nicolas Sarkozy en campagne ? À entendre tous ceux qui se sont ralliés à sa candidature présente, l’ancien chef de l’État serait seul capable de donner à l’UMP un nouvel élan, de la faire renouer avec le succès. L’argument porte auprès des militants qui ne glorifient rien tant que la réussite. Deux ans et demi de François Hollande les ont convaincus que le bilan du sarkozisme était positif. Oubliées les défaites électorales… C’est pourtant à Nicolas Sarkozy, à sa politique et à son personnage, que l’UMP doit ses défaites électorales à toutes les élections locales de son quinquennat, ainsi qu’aux élections présidentielle et législatives de 2012. Des revers politiques qui ont contraint le parti, au bord du dépôt de bilan, à réduire considérablement son train de vie. Ce qui n’est pas le cas de Nicolas Sarkozy. Reconverti en conférencier de luxe, l’ancien Président a « fait du pognon » comme disent ses proches. Beaucoup de pognon : 2 millions d’euros entre l’automne 2012 et l’été 2014, c’est le chiffre qui circule dans la Sarkozie. Une « réussite » individuelle donc, acquise au prix d’entorses avec le droit. Ce n’est pas la moindre des contradictions des ténors de la droite, pourtant adeptes de la tolérance zéro en matière de délinquance : au moindre soupçon visant un responsable politique socialiste, ils exigent sa démission. Mais s’apprêtent à élire à leur tête un homme visé par près d’une dizaine de procédures judiciaires – affaire Karachi, sondages de l’Élysée, arbitrage Tapie-Crédit lyonnais, Bygmalion, hélicoptères du Kazakhstan, financement libyen de la campagne de 2007… – et mis en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel ». Un homme qui, ils en ont conscience, cherche par son retour à échapper à la justice. Une justice que Nicolas Sarkozy veut rigoureuse. Sauf pour lui. « Dans la politique, comme ailleurs, a-t-il déclaré à Saint-Étienne, le 13 novembre, il y a des gens qui fautent. Ils doivent être sanctionnés, sans faiblesse, sans indulgence. »

Démagogie ? La droite s’en défend. D’ailleurs, elle ne la voit, et ne la dénonce, que chez ses adversaires, se targuant de ne céder à aucune pression. « Avec nous, la rue n’a jamais fait la loi dans la République française », répétait Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2012. Pourtant, c’est pour complaire à la pression d’une salle, emplie de militants de la Manif pour tous, que le candidat à la présidence de l’UMP s’est prononcé le 15 novembre pour l’abrogation de la loi Taubira et la création de deux mariages distincts. En 2012, il jugeait ce deuxième mariage inconstitutionnel et de nature à « vider le mariage de tout son sens ». Une contradiction de plus pour un homme qui les multiplie.

Politique
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