Baal, poète punk

Volker Schlöndorff a adapté en 1969 la pièce de Brecht, avec Fassbinder dans le rôle-titre. Fascinant.

Christophe Kantcheff  • 26 novembre 2014 abonné·es
Baal, poète punk
© **Baal** , Volker Schlöndorff, 1 h 28. Photo : DR

«Si l’histoire est compréhensible, c’est qu’elle a été mal racontée. » La citation n’est pas de Jean-Luc Godard mais de Bertolt Brecht, dans Baal, la première pièce qu’il a écrite, à 20 ans. On la retrouve dans l’adaptation qu’en a faite au cinéma Volker Schlöndorff, en 1969. L’histoire n’y est en effet pas la chose la plus limpide, mais la manière de la raconter est foudroyante. C’est, par exemple, le choix d’un acteur phénoménal, une bête sauvage : Rainer Werner Fassbinder. Volker Schlöndorff raconte dans ses mémoires avoir eu l’idée de lui confier le rôle après l’avoir découvert avec les membres de sa « troupe anti-théâtre »  : « Étaient-ce des artistes, des bohèmes, des petits-bourgeois, des criminels ou des prolétaires ? Venaient-ils de quelque part ? Ou bien les avait-il inventés ? »

Fassbinder, âgé alors de 24 ans, est un Baal d’une tranchante vérité. Brecht disait avoir composé un poète « asocial » à la Villon, mais il y a aussi beaucoup de Rimbaud en lui, celui qui, par exemple, crottait les beaux salons où parfois on l’invitait. Ainsi, dans l’une des premières scènes du film, Baal/Fassbinder, reçu par un riche négociant pour son génie poétique, sème le désordre et drague ouvertement la maîtresse de maison. Avant de l’humilier dans une auberge glauque. Car Baal est aussi un formidable manipulateur, de femmes en particulier, qu’il séduit par sa nature absolue et son verbe ensorceleur, et jette presque aussitôt. Sophie peut-être moins vite que les autres, interprétée par une Margarethe Von Trotta sublime dans son petit tailleur rose. Tandis qu’une relation dangereuse s’engage entre Baal et Ekart le musicien.

Hirsute et malpoli, fondateur du Nouveau Cinéma allemand, Baal est un film d’une énergie insensée, renversant rageusement la table des bonnes manières, promenant son lyrisme de rustre entre des aires d’autoroute et des bars crapuleux. On est étourdi par la puissance de la langue brechtienne dite avec le naturel de la rue et l’urgence de ce qui doit être énoncé à la face des autres et du monde. David Bowie, qui a composé un album à partir de Baal, ne se trompait pas quand il qualifiait le personnage de « superpunk ». Mais sans doute le film de Volker Schlöndorff l’était-il trop pour les héritiers de Brecht, qui ont longtemps interdit le film, jusqu’ici inédit sur grand écran. C’était contrevenir au regard même que le dramaturge allemand portait sur sa pièce, lui qui estimait qu’elle serait toujours dans l’actualité du temps où elle serait montée. En 2014, c’est toujours vrai.

Cinéma
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