Clap de fin aux studios de Bry-sur-Marne ?

Professionnels et élus locaux se mobilisent contre la fermeture des studios de tournage, mais l’État reste muet.

Christophe Kantcheff  • 27 novembre 2014 abonné·es
Clap de fin aux studios de Bry-sur-Marne ?
© Photo : Roger DO MINH

«Si les studios de Bry-sur-Marne disparaissaient, nous serions obligés de tourner en dehors de France chaque fois que l’on aurait besoin de faire des constructions en plein air  […]. [Leur fermeture] participera à l’exode des tournages hors de France, au moment où les pouvoirs publics essayent d’encourager la venue de productions étrangères. » Ainsi s’exprime Roman Polanski [^2] à propos de la menace qui pèse sur les plus importants studios de cinéma restant en France, avec la Cité du cinéma, de Luc Besson. Outre des films de cinéma, y sont tournés des séries et des téléfilms, et réalisées des émissions de télévision. Aujourd’hui encore, ces studios sont très demandés, d’autant que d’autres ont fermé ou sont en voie de l’être, comme ceux d’Arpajon, dans l’Essonne, ou les studios de la Victorine, à Nice.

Le réalisateur de Carnage  (tourné à Bry) n’est pas le seul cinéaste de cet avis. Josiane Balasko, Jean-Pierre Jeunet, Dominik Moll, François Ozon ou Pierre Salvadori ont eux aussi signé la pétition « Pour le maintien en activité du meilleur studio en France », initiée par l’Association des chefs décorateurs de cinéma (ADC) et l’association des Métiers associés de la décoration (Mad). Une pétition qui recueille aujourd’hui plus de 3 600 signatures. Rapide retour en arrière. Inaugurés en 1987, les studios de Bry-sur-Marne, implantés à cheval sur cette commune et sur Villiers-sur-Marne, dépendent alors de la Société française de production (SFP). À la suite de la privatisation de la SFP, les studios sont rachetés en 2001 par les groupes Euro Media et Bolloré. Et c’est en mai 2013 que leur avenir s’assombrit, quand Euro Media vend, en toute discrétion, les studios au groupe Nemoa, adossé à un fonds luxembourgeois détenu par un investisseur brésilien. Pas vraiment le profil d’un entrepreneur, plutôt celui d’un spéculateur. Ses intentions restent opaques. Neoma souhaite-t-elle profiter de l’opportunité du Grand Paris pour réaliser une juteuse opération immobilière ? Quoi qu’il en soit, Euro Media, désormais locataire, doit quitter les lieux en avril 2015, laissant derrière elle les studios en déshérence. L’échéance approche, et avec elle, si les choses en restent là, le clap de fin de l’activité des studios du Val-de-Marne.

« Ce serait un incroyable gâchis », lâche Michel Barthélémy, chef décorateur notamment sur les films de Jacques Audiard et de Dominik Moll. « Contrairement à certains bruits qui ont circulé, les studios de Bry ne sont pas du tout obsolètes. Ils sont même très performants. Les matériaux utilisés pour monter les bâtiments sont d’excellente qualité, et toutes les données techniques sont hors pair. » Seuls studios en France à offrir la possibilité de tourner en extérieur dans une rue, ils se composent d’un tiers de plateaux pour deux tiers de surfaces annexes, en particulier d’ateliers, où les décors sont confectionnés. Même la Cité du cinéma, pourtant plus récente, ne présente pas cette proportion, jugée idéale par toute la profession. Par ailleurs, le pôle de Bry-sur-Marne abrite un riche stock de meubles et d’accessoires, loués sur place aux tournages, dont l’avenir reste lui aussi obscur. Projet de reprise par les salariés ou démantèlement par vente aux enchères des meubles de valeur ? Euro Media, qui le détient, ne s’est pas encore clairement prononcé. Défendre le maintien de l’activité des studios, c’est aussi, outre les professions annexes qui en bénéficient, préserver l’emploi de nombreux intermittents, en particulier des équipes de décoration (menuisiers, peintres, serruriers, staffeurs…). Par exemple, « la série Versailles, en tournage à Bry pour Canal + jusqu’en février, assure 1 000 heures de travail par technicien », explique Sabine Chevrier, elle-même technicienne du cinéma pendant quinze ans avant de coréaliser un documentaire sur les désormais ex-studios d’Arpajon.

La fermeture des studios de Bry aurait d’inévitables répercussions. D’abord sur la production française. Non seulement, comme l’évoque Roman Polanski, les productions françaises seront toujours plus enclines à se délocaliser. Mais les étrangers, en particulier les Anglo-Saxons, dont certains ont recours aux studios de Bry ( Hunger Games 3 y a été partiellement tourné, par exemple) iront voir ailleurs. D’autant que l’Allemagne et l’Angleterre ont investi dans de nouveaux studios, sans compter ceux d’Europe de l’Est, à moindres coûts. Les conséquences se feront aussi sentir sur l’économie des territoires concernés. Les élus locaux, toutes appartenances politiques confondues, ne s’y trompent pas, qui se déclarent attachés au maintien de l’activité, et même au développement d’un pôle audiovisuel sur le site. Les maires sont déterminés à garder la main sur le plan local d’urbanisme, dont ils pourraient être dépossédés par le Grand Paris. Quant au département, il a favorisé le désenclavement du lieu grâce à une amélioration des transports publics. « Mais les collectivités locales ne suffisent pas, dit-on au conseil général du Val-de-Marne (PC). Il faut prendre en compte toutes les activités qui se trouvent là, notamment l’Institut national de l’audiovisuel, qui est un établissement public, et favoriser l’arrivée d’un repreneur privé pour les studios en élaborant un projet d’aménagement pour tout ce secteur. Dans cette affaire, l’État est évidemment un partenaire essentiel. » Or, l’État, pour l’heure, reste publiquement muet. Politis a sollicité le ministère de la Culture sur cette question, en vain. Le gouvernement de François Hollande serait-il, contrairement aux professionnels du cinéma et aux élus locaux qui se mobilisent, indifférent au sort des studios de Bry-sur-Marne et à ce que pourrait représenter le développement d’un pôle de production d’images en phase avec notre début de XXIe siècle ? Quoi qu’il en soit, étant donné l’urgence de l’échéance, si l’État veut changer d’attitude, c’est maintenant…

[^2]: Sur la page Facebook « Il faut sauver les studios de Bry-sur-Marne ».

Politique culturelle
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