Eric Cantona : « Le foot est un vecteur d’intégration »

L’ancien joueur emblématique de Manchester United signe un ambitieux documentaire sur les richesses de l’immigration chez les Bleus. Diffusion ce dimanche 16 novembre, à 20 h 50, sur Canal+.

Jean-Claude Renard  • 14 novembre 2014
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Illustration - Eric Cantona : « Le foot est un vecteur d’intégration »


Qu’on se souvienne : 12 juillet 1998. Zinedine Zidane marque deux fois en finale de la Coupe du Monde contre le Brésil. Sur les Champs Elysées et ailleurs, le drapeau algérien côtoie le drapeau tricolore. Le Maghreb apportait là une deuxième Libération à la France. « Nous, de l’intérieur, c’était magnifique , observe aujourd’hui Zidane. On le savait, on était fier de ça, de ce métissage. On a vécu des choses fortes entre nous, les Noirs, les Blancs… de toutes les couleurs ! »
Et Jamel Debbouze de surenchérir : « En 98, on pouvait faire des crédits à la banque, sans trop de justificatifs ! T’arrivais, tu voulais faire un crédit, y avait pas de problème. Zidane avait marqué deux buts en finale de la Coupe du monde ! « Avec plaisir, monsieur ! » Putain, en 2001, le même banquier te regarde pas ! « J’ai rien n’à voir moi monsieur, je sais pas conduire un avion ! Non, monsieur, vous n’êtes pas solvable ! Mais si, j’ai toutes les pièces justificatives. Je peux même prétendre à prendre un appartement… Non, non, vous n’avez pas la gueule qu’il faut ». C’est ça qu’on ressentait… Si la société pouvait se comporter comme un match de foot pendant 90 minutes , poursuit le comédien humoriste. Evidemment, il y aura toujours des adversaires, il y aura toujours des pauvres et des riches. Ça, on ne bougera jamais. Mais au moins, si on pouvait être ensemble, juste ensemble, se respecter. Je suis sûr que ce serait mieux… » Le sourire de Jamel Debbouze laisse entendre qu’il n’y croit pas.

Ces propos donnent le ton de ce documentaire , oscillant entre l’apport des joueurs issus de l’immigration, en équipe de France et la réception de cette immigration. Un documentaire signé Eric Cantona, accompagné de Giles Rof et Gilles Perez, avec lesquels l’ancien joueur de Manchester United avait tourné les Rebelles du foot , en 2012, articulé autour de quelques figures de la rébellion, au sens politique, dans et hors les stades.

Avec Football et immigration, 100 ans d’histoire commune , Eric Cantona se distingue à nouveau, en revenant non pas un siècle en arrière, comme l’indiquerait le titre du film, mais en évoquant les vagues d’immigration espagnole, italienne, polonaise et africaine sur le sol français, à travers quelques têtes d’affiche ayant illuminé les Bleus, empruntant aux mythes passés et récents.


Illustration - Eric Cantona : « Le foot est un vecteur d’intégration »


« 98, ce n’était pas une victoire de la République, mais une victoire de la France dans sa pluralité, juge Basile Boli, la France qui venait de Côte d’Ivoire, du Ghana, d’Algérie. En fait tout ce qui fait l’histoire de la France » , pointe l’ancien international, lui-même né en Côte d’Ivoire. Edgar Morin donne la réplique : « Etre Français, c’est une chose d’esprit, ce n’est pas une chose de sang, ni de race. »

Et de remonter alors à Raymond Kopaszewski , dit Kopa, fils de mineurs polonais installés à Nœux-les-Mines, surnommé par les Anglais le « Napoléon du football », ayant lui aussi marné à la mine tout gosse (au passage, en y perdant un doigt), avant de devenir la star du foot français dans les années 1950, brillant sur la pelouse de Reims, puis gagnant le Real de Madrid. Des entrailles de la terre au terrain, il existait une raison sociale, raconte Kopa : les compagnies minières ont toujours encouragé le sport collectif, comme le foot, prônant des valeurs de solidarité. La mine et l’immigration polonaise ont ainsi fourni une centaine de joueurs professionnels dans le foot hexagonal.


Illustration - Eric Cantona : « Le foot est un vecteur d’intégration »


Maryan Wisniewski en est un exemple, jeune international français, en 1958, petit prodige sur l’aile droite (ce qui ne l’empêchera pas d’être envoyé en Algérie sitôt après la Coupe du monde 1958, disputée en Suède). Ces évocations sont l’un des moments les plus forts du documentaire, avec son alternance d’images d’archives, tantôt sportives, tantôt sociales et d’entretiens sobres, face caméra, jusqu’au Centre minier de Lewarde et sa salle des pendus. Les joueurs auront été nombreux à y passer. Des joueurs tous fils de déracinés, qui se sont donnés à la France, de cent métiers à cent misères. Des fistons portés par des valeurs familiales, une éducation et le respect inculqué par des éducateurs.

Michel Platini sera d’une autre génération , fils d’un maçon italien, avant que cet homme ne devienne cafetier, dans un troquet où les disputes s’additionnent dans la langue de Dante. Mais on ne fait pas que s’engueuler, on joue aussi au foot, entre Italiens et Français, et chaque match anime les dimanches, seule récréation de la semaine pour ces ouvriers. Et comme chez les Polonais, on reste entre soi, parce que l’intégration est difficile. Il n’est jamais facile d’être accepté. Cette idée court tout au long du documentaire, au diapason de la fierté de porter un maillot frappé du coq.

Autour de Platini, les Bleus des années 1980 apporteront d’autres cas particuliers. Comme Jean Tigana, né à Bamako, quand le Mali est encore une colonie, d’un père gaulliste, inscrit au RPF. De son côté, Luis Fernandez débarque en France à l’âge de 6 ans, fils d’immigrés espagnols, installés aux Minguettes. C’est un fils des cités qui ne tremblera pas au Mexique, en 1986, face au Brésil, dans la séance des tirs au but, en ultime tireur, et qualifiant les Bleus. « Faut savoir d’où je viens ! » , pointe Fernandez. De fait, grandir aux Minguettes n’est sans doute pas plus aisé que de faire trembler les filets.


Illustration - Eric Cantona : « Le foot est un vecteur d’intégration »


Dans tous les cas, insiste Eric Cantona , « on hérite de toute une histoire, avec nos sons, nos origines » . Avec de piètres bagages le plus souvent. « Je ne suis pas venu en France pour faire des affaires, mais pour survivre » , dit Smaïl Zidane, père de. Il a travaillé près de dix ans à Saint-Denis. Il s’apprête à regagner l’Algérie au moment de l’indépendance, et fait escale trois jours à Marseille, avant de prendre le bateau. Trois jours qui suffisent pour tomber amoureux ; et rester dans la cité phocéenne. Un destin peu ordinaire. En marquant ses deux buts en finale de la Coupe du monde, précisément à Saint-Denis, le fiston se rappellera que son père y avait sué quelques décennies plus tôt.

Si la mixité, le brassage des cultures fait donc partie historiquement de l’histoire des Bleus, cette histoire se voit sur le terrain. Sur le terrain seulement. Comme le souligne Jean Tigana, « dans le monde du foot, il y a très peu d’entraîneurs de couleur ou aux origines étrangères, très peu de gens dans les instances, très peu à la Direction technique nationale (DTN) » . Jamel Debbouze a son explication : « La France est une vieille dame, elle a peur de tout. Elle a une histoire tellement lourde, tellement chargée qu’elle a des tropismes, des réflexes culturels ancrés profondément, et qu’elle aura toujours peur. Il faudra toujours la rassurer. » Soit presque un condensé de ce film, remarquable document à la fois jubilatoire et critique.

Football et immigration, 100 ans d’histoire commune , (1h36), dimanche 16 novembre, à 20 h 50, Canal+.

Photos : Stephane de Sakutin/AFP; Gérard Julien/AFP; Staff/AFP; Jack Guez/AFP
Médias
Temps de lecture : 7 minutes
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