La fin des paradis fiscaux ?

L’agitation à propos du Luxembourg montre que l’affrontement est engagé.

Gérard Duménil  • 27 novembre 2014 abonné·es

Les politiques de déficit budgétaire qui ont été mises en œuvre pour éviter la répétition d’un scénario de type 1929, alors que très peu ou rien n’était fait pour remédier aux causes sous-jacentes de la crise de 2008, ont vite transféré les problèmes vers la croissance des dettes publiques. J’expliquais dans ma chronique précédente [^2] comment les déficits soutenaient maintenant la course engagée aux États-Unis pour rétablir la situation macroéconomique par une forte intervention de l’État, fort peu « libérale », alors que les intérêts des classes supérieures étaient préservés. Pourtant, un des volets de ces politiques révèle des intentions qui affecteraient profondément ces intérêts. Il s’agit de la lutte contre les paradis fiscaux.

La multiplication des effectifs des milliardaires et leur enrichissement ont été formidablement appuyés par la localisation des fortunes dans les paradis (les estimations sont peu fiables). Pour le voir, il suffit d’observer l’écart qui sépare l’accroissement des distributions de dividendes par les sociétés et l’absence de progression des dividendes dans les revenus des classes les plus aisées aux États-Unis (toujours l’équivalent de 2 % du revenu national empoché en dividendes par le 1 % aux revenus les plus élevés) [^3]. Dans quel « reste du monde » ces dividendes disparaissent-ils ?

Une loi a été votée aux États-Unis, dite loi Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act), quelque chose comme « loi d’observance fiscale concernant les comptes étrangers », prenant effet en 2014-2015. Les institutions financières étrangères sont tenues de déclarer l’identité des citoyens des États-Unis possédant des comptes chez elles. La sanction du refus de coopérer serait une taxe de 30 % sur toutes leurs transactions en titres états-uniens. Comme les États-Unis dominent de façon écrasante le réseau mondial des institutions financières [^4], on imagine le poids d’une telle sanction. La matière grise des cadres financiers est en effervescence pour découvrir les moyens permettant de contourner la loi. Les trusts où sont gérées des fortunes, notamment états-uniennes, dirigés par des non-citoyens des États-Unis pourraient dans des conditions complexes échapper à la loi. Mais rien n’est joué. En Europe, une directive de 2005 tend aussi dans cette direction, bien que beaucoup moins ambitieuse. Il suffit pourtant de lire la presse pour voir l’agitation qui se développe, même sur ce continent, concernant en particulier la Suisse et le Luxembourg (à propos des avoirs d’individus et des procédures visant à abriter les sociétés de l’imposition sur les profits), pour comprendre que l’affrontement est engagé.

Drame moral en trois actes : Acte I, les classes supérieures, par le service immodéré de leurs intérêts pendant trente ans de néolibéralisme, font exploser le système en 2008 ; acte II, elles se moquent de leurs États, qui furent à la fois leurs agents dans cette aventure et les pompiers au cœur de l’incendie, en ne payant pas leurs impôts ; acte III, ces États se retourneraient finalement contre ces classes, pour défendre l’intérêt national (nationaliste) supérieur ! À voir.

[^2]: Politis n° 1320, 25 septembre.

[^3]: Concerne les ménages disposant d’un revenu d’au moins 32 000 dollars par mois en 2012, selon les données de Thomas Piketty.

[^4]: Lire chap. 7 de la Grande Bifurcation. En finir avec le néolibéralisme, Gérard Duménil et Dominique Lévy, La Découverte.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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