La plainte des femmes de Troie

Avec Troyennes, Laëtitia Guédon livre une vision forte mais inégale d’Euripide.

Gilles Costaz  • 13 novembre 2014 abonné·es
La plainte des femmes de Troie
© **Troyennes** , Théâtre 13/Seine, Paris, 01 45 88 62 22 Jusqu’au 14 décembre. Photo : Alain Richard

Une jeune femme metteur en scène, Laëtitia Guédon, s’empare des Troyennes d’Euripide, cet extraordinaire tableau des femmes de Troie vaincues, humiliées, abandonnées, survivant grâce à la noblesse de leurs sentiments et de leurs lamentations. Elle ne passe pas par les cases classiques et commence d’abord par commander une nouvelle traduction à un jeune auteur, Kevin Keiss. Le texte est très beau, puissant (l’auteur se permettant quelques modernismes, « babord, tribord », qui ont la patine de l’ancien !). Puis elle développe sa vision, qui est de « raconter une histoire millénaire au présent » .

Dans un décor sombre et presque nu, fermé par une palissade et l’entrée montante d’un palais, les Troyennes, aux robes blanches – à peine des robes, des combinaisons effilées –, les jambes couvertes de pansements, vont et viennent, se retrouvent, s’interpellent, s’étreignent. Avant elles, Poséidon en capote militaire bleu nuit avait traversé la scène. Quelques hommes viennent, d’un autre monde, où l’on a rien compris, qu’on soit un mâle troyen ou grec. L’éclairage, uniquement latéral, perce une nuit profonde. La musique de Blade Mc Ali M’Baye (le compositeur-chanteur est visible derrière la palissade) passe de la rage à l’incantation. « Les mots se moquent des beaux enterrements », conclut Hécube, empruntant à une autre pièce d’Euripide, Andromaque .

Laëtitia Guédon a le sens de la geste tragique et des idées inattendues, comme d’utiliser les moments avec micro pour amplifier les murmures et non ce qui est déclamé. Mais son langage théâtral reste inégal. Elle a donné tout l’éclat de la soirée aux rôles féminins, avec des comédiennes fortes et bouleversantes (Marie Payen d’abord en Hécube, puis Lou Wenzel, Mounya Boudiaf ; même la belle Hélène jouée par Valentine Vittoz en manteau de fourrure ne manque pas d’allure). C’est un juste parti pris, mais donner aux rôles masculins une apparence aussi prosaïque et sans portée symbolique (ils portent parkas ou vareuses), c’est perdre de la hauteur alors qu’ici, rien ne doit être banal, même la médiocrité des mâles. Seul, le traducteur-acteur, Kevin Keiss, dépasse cet effacement par un choix de costumes trop peu réfléchi. Mais l’étrange beauté de l’extrême douleur nous parvient grâce au quatuor d’actrices.

Théâtre
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