Public, collectif, commun ?

Le statut des biens est une construction sociale et politique.

Jean-Marie Harribey  • 13 novembre 2014 abonné·es

La marchandisation du monde ne progresse pas aussi linéairement que le souhaiteraient ses promoteurs. Depuis l’aube du capitalisme, les sociétés ont connu des résistances pour se protéger de l’élargissement de l’espace de la propriété privée. Celui-ci a bien sûr beaucoup gagné au fur et à mesure de l’accumulation du capital, mais les luttes n’ont pas manqué sur tous les continents contre l’appropriation des terres, la confiscation de l’eau par les multinationales et la privatisation des services publics. La preuve est même faite que le marché n’optimise pas le bien-être social. À tel point que les économistes néoclassiques les plus éclairés comme Richard Musgrave et Paul Samuelson avaient depuis longtemps vu ses « défaillances », rendant nécessaires les biens collectifs. Et la discussion reprit après l’attribution du prix de la Banque de Suède à Elinor Ostrom en 2009 pour ses travaux sur les biens communs. Malheureusement, on est en face d’un bel embrouillamini pour savoir ce qui distingue le public, le collectif et le commun.

Un seul point est clair. Contrairement à la position libérale, ce n’est pas la caractéristique intrinsèque des biens qui définit leur statut. C’est une construction sociale et politique qui fait que les individus sont concurrents (rivaux) ou non pour accéder aux biens, et si certains sont exclus ou non de leur usage. Ostrom a même suggéré que les communs, ce ne sont pas les biens, mais les stratégies et les règles construites par les communautés pour les gérer. Après, tout s’embrouille. Les uns, utilisant les travaux de Pierre Dardot et Christian Laval [^2], pensent que le commun se situe au-dessus du public car il permettrait de surmonter le dilemme marché/État, mais ils acceptent implicitement que les individus restent rivaux en omettant la question de la propriété et des rapports sociaux dans lesquels les communautés définissent leurs règles. Les autres assimilent le public à la propriété de l’État, lui-même exclusivement identifié à la nation, sans référence à un contrôle social. D’autres encore affirment que les biens naturels sont naturellement biens communs de l’humanité.

Toutes ces affirmations sont contestables. Le commun défini à la Ostrom n’est supérieur ni au collectif à cause du maintien de la concurrence, ni au public à cause de l’ignorance des rapports sociaux globaux. Le public ne peut non plus être placé au sommet si la propriété publique n’est pas soumise au contrôle citoyen. Le collectif à la Samuelson fétichise les objets en se focalisant sur leurs prétendues caractéristiques intrinsèques. De même, certains écologistes font de l’eau, bien naturel, un bien naturellement commun, alors qu’elle le devient par construction sociale. Idem pour les connaissances.

Autrement dit, dans la société, existe en permanence une tension entre ces trois pôles que sont le régime de propriété, l’exclusion ou non de certains individus dans l’accès aux biens et la concurrence ou non entre eux [^3]. Chaque caractéristique est nécessaire pour définir le meilleur rapport social aux biens, aucune ne suffit à elle seule. Par exemple, l’éducation « publique » ne réussit à remplir sa mission que si elle est commune (accessible à tous) et collective (accessible de manière égale à tous). 

[^2]: Commun , La Découverte, 2014.

[^3]: La Richesse, la valeur et l’inestimable* , J.-M. Harribey, LLL, 2013.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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