Sortie de crise pour le Burkina Faso

La société civile a rédigé un projet de charte pour mettre en place une transition civile mais l’armée cherche à conserver son influence.

Lou-Eve Popper  • 12 novembre 2014 abonné·es
Sortie de crise pour le Burkina Faso
© Photo: L'envoyé spécial de l'Union africaine au Burkina Faso, Edem Kodjo, le président du Senegal Macky Sall, le président du Togo Faure Gnassingbe et le président de la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (ECOWAS) Kadre Desire Ouedraogo, lors d'une réunion à Ouagadougou, le 11 novembre avec les leaders politiques et religieux, et les militaires (ISSOUF SANOGO / AFP)

Depuis la chute du président Blaise Compaoré le 31 octobre, la population burkinabè réclame un pouvoir civil. C’est pourtant le numéro deux de la garde présidentielle, le lieutenant-colonel Isaac Zida, qui s’est rapidement imposé à la tête du pays. Ce dernier n’a pas encore cédé le pouvoir aux civils mais le Burkina Faso amorce une sortie de crise. Pour la première fois ce mercredi, une charte de transition doit être discutée entre la société civile, l’opposition politique, l’armée et les autorités religieuses.

Le président de l’Union Africaine (UA) et actuel président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, est venu lundi dernier rassurer les protagonistes de la transition politique. « L’UA n’est pas venue (…) pour vous menacer de quoi que ce soit » a déclaré M. Aziz. Le 3 novembre, l’Union Africaine avait pourtant posé un ultimatum à l’armée burkinabè pour qu’elle cède le pouvoir aux civils sous quinze jours. Loin des micros, le président mauritanien a toutefois maintenu le délai de l’UA, qui expire dans six jours, selon une source diplomatique. Difficile cependant d’évaluer dans quelle mesure cet ultimatum s’impose comme une véritable menace pour l’armée.

Une charte de transition qui divise l’opposition

Ces derniers jours , la société civile a rédigé une charte de transition qui doit définir la structure des futures autorités et qu’Isaac Zida a déjà qualifiée de « socle » pour la sortie de crise. La charte de transition doit obliger l’armée à rendre le pouvoir mais les militaires vont chercher à conserver leur influence en amendant le texte. Cet avant-projet prévoit de désigner un président de transition, élu à la suite d’un processus très complexe, et qui ne pourra pas se présenter à la prochaine élection présidentielle.

La charte prévoit également de désigner un Premier ministre, de former un gouvernement de 25 ministres ainsi que plusieurs commissions et une assemblée nationale de transition. Cette assemblée nationale, que l’armée appelle « Conseil national de transition » (CNT) demeure la principale source de conflit entre civils et militaires. Les représentants de la société civile prévoient une assemblée de 90 membres qui minimiserait l’influence de l’armée (10 députés) et de l’ancienne majorité (10 députés). L’armée demande pour sa part que le CNT soit composé de 60 membres, répartis équitablement entre opposition, société civile, militaires et ex-majorité (15 sièges chacun). Et pour conserver une position influente, l’armée demande que le CNT « soit présidé par un militaire » .

Toute la difficulté pour l’opposition va être de rester unie pour faire advenir une transition civile. Car pour le moment, les amendements de l’armée divisent. La classe politique, dont se méfie la société civile, reste timorée à l’égard des demandes formulées par l’armée. Zéraphin Diabré, le chef de l’opposition politique, a jugé les « observations » de l’armée « recevables. » Les représentants civils, vigilants, dénoncent pour leur part une « preuve d’un coup d’Etat » militaire. Pour Hippolite Domboué, cadre ONG, il est clair « les organes de transition ne doivent pas être dirigés par des militaires. Ils doivent par contre les prendre en compte. » Ce dernier a également souligné le risque, avec une assemblée présidée par un militaire, d’un « bi-céphalisme à la tête de l’Etat » , étant entendu que le Premier ministre et le président de transition seraient des civils.

Après avoir voté le texte de la Charte, les acteurs de la sortie de la crise devront lever la suspension de la Constitution et désigner les autorités de transition. Pour commencer, partis d’opposition, société civile et autorités religieuses et traditionnelles devaient se réunir par groupes ce matin puis collectivement cette après-midi. La partie est loin d’être jouée pour la société civile.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran Mamdani
Chronique 5 novembre 2025

La gauche française s’illusionne en croyant être le reflet de Zohran Mamdani

Du Parti socialiste à la France insoumise, les composantes de la gauche française se servent de la victoire du maire de New York pour justifier leur propre stratégie. Un doux rêve, tant une figure comme Zohran Mamdani ne pourrait advenir en France. Voici pourquoi.
Par Fania Noël
Dans l’archipel du Bailique, au Brésil : « Je crois qu’ici, tout va disparaître »
Reportage 3 novembre 2025 abonné·es

Dans l’archipel du Bailique, au Brésil : « Je crois qu’ici, tout va disparaître »

Au nord de Belem où se tient la COP 30, l’archipel du Bailique est en train de disparaître, victime de l’érosion des terres et de la salinisation de l’eau. Une catastrophe environnementale et sociale : les habitant·es désespèrent de pouvoir continuer à habiter leurs terres.
Par Giovanni Simone et Anne Paq
Paul Biya réélu : colère et répression au Cameroun
Analyse 31 octobre 2025

Paul Biya réélu : colère et répression au Cameroun

Au Cameroun, le président au pouvoir depuis 50 ans vient d’être réélu pour un huitième mandat. L’élection de cet homme de 92 ans est largement contestée et l’opposition est réprimée. Depuis plusieurs jours, le pays est dans un climat de colère et de peur.
Par Caroline Baude
« Au Cameroun, la jeunesse voudrait s’inspirer de la Gen Z »
Entretien 31 octobre 2025 abonné·es

« Au Cameroun, la jeunesse voudrait s’inspirer de la Gen Z »

La politiste Marie-Emmanuelle Pommerolle, spécialiste du Cameroun, analyse la place du pays dirigé d’une main de fer par le nonagénaire Paul Biya depuis 1982, au lendemain de sa réélection, dans l’espace régional ouest-africain et avec l’Occident, dont l’ancienne puissance coloniale française.
Par Olivier Doubre