Un pouvoir illégitime mis à nu

Susan George s’interroge sur la légitimité de nos démocraties dans une brillante étude sur les entreprises transnationales.

Thierry Brun  • 13 novembre 2014 abonné·es

L’autorité illégitime connaît aujourd’hui un essor spectaculaire et la démocratie est menacée par ce fléau, témoigne Susan George. Elle s’interroge, en « chercheur militant », sur l’identité des véritables détenteurs du pouvoir, sur leur manière de l’exercer et sur les objectifs qu’ils se donnent. L’auteure franco-américaine [^2] ne croit pas aux conspirations et aux théories du complot, et précise qu’elle n’a rien contre les entreprises privées, « du moment qu’elles s’en tiennent au domaine qui est le leur ». Elle s’attache surtout à remonter à la source de ce pouvoir sans précédent accordé aux entreprises transnationales, « premières puissances collectives mondiales, loin devant les gouvernements ». Il s’agit dans cet ouvrage de comprendre comment un certain nombre d’organisations s’y prennent pour influencer les dirigeants politiques, notamment lors de la préparation de nouveaux traités internationaux.

On le sait, le pouvoir des transnationales est conforté par une cohorte d’acteurs non élus qui promeuvent en sous-main une doctrine et mettent la démocratie en péril. Susan George rappelle ici un certain nombre de questions de principe, notamment sur la légitimité du pouvoir, au sens où l’entendent les citoyens du monde occidental et bien d’autres de par le monde. L’auteure défend les valeurs des Lumières, éclipsées par une idéologie de l’égoïsme, de l’appât du gain et de la cruauté, qu’elle nomme « grande régression néolibérale ». Celle-ci a gagné du terrain, « malgré les preuves accablantes de son action délétère pour presque tout le monde, à l’exception des très riches, des grands patrons et de ceux qui raflent la mise dans ce grand casino qu’est venue l’économie mondiale » .

Le gouvernement au sens où on l’entend habituellement, celui qui est dirigé par des responsables clairement identifiables et élus démocratiquement, se trouve affaibli, voire supplanté, par des « crypto-gouvernements auxquels la classe politique a fait des concessions délibérées, forcées, ou tout simplement irréfléchies », montre Susan George au travers de nombreux exemples. Cette autorité illégitime qui sert les entreprises transnationales s’est en effet dotée de structures qui opèrent au niveau national, européen, supranational, et jusque dans le cadre des Nations unies. Le processus législatif habituel est ainsi escamoté dans des domaines aussi importants que la taxation, la protection des consommateurs, la santé publique, le droit du travail, la sauvegarde de l’environnement, la propriété intellectuelle… Il est temps d’y mettre fin, adjure Susan George.

[^2]: Présidente d’honneur d’Attac France, et présidente du conseil du Transnational Institute, à Amsterdam.

Idées
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