Europe : la pente est raide

Les sociaux-libéraux sont décidément de moins en moins sociaux.

Christophe Ramaux  • 18 décembre 2014 abonné·es

Le PIB des États-Unis est supérieur de 10 % par rapport à son niveau d’avant la crise de 2008. La politique monétaire de la FED a été radicale, la politique de relance budgétaire tout autant : le déficit public a été poussé à plus de 10 % du PIB entre 2009 et 2011, et à près de 9 % encore en 2012. Ces plans de relance ont fonctionné. Avec le retour de la croissance et des emplois, les recettes fiscales affluent, le déficit public se réduit à vue d’œil, moins de 3 % [^2]. L’Europe, par contraste, fait pâle figure. Son PIB, à l’instar de celui de la France, peine à retrouver son niveau de 2008, et certains pays du Sud sont en dépression. Les États-Unis parviennent simultanément à réduire l’endettement privé, à l’origine de la crise de 2008 [^3], ce que ne réussit pas à faire l’Europe.

Les causes du mal européen sont connues : l’austérité salariale et budgétaire plombe l’activité, précipite certains pays dans la déflation, creuse le chômage, ce qui interdit de réduire les dettes tant privées que publiques. Depuis 2012, Christine Lagarde, directrice du FMI, donne des leçons keynésiennes aux dirigeants européens, dont François Hollande. Nous sommes décidément tombés bien bas. Consciente du danger qui menace l’euro lui-même, la BCE accepte de bouger, même si c’est toujours avec retard. Elle va sans doute consentir, début 2015, au rachat de titres d’emprunts publics. Mais cela ne suffira pas si l’austérité se poursuit. La commission Juncker le reconnaît, à sa façon. Elle présente un plan de relance de l’investissement chiffré à 315 milliards d’euros. Mais, à y regarder de près, ce fonds d’investissement ne disposera que de 21 milliards (dont 16 déjà budgétés). Le reste, escompte-t-elle, proviendra du privé. Au passage, c’est une vaste usine à gaz de partenariats public-privé qui est lancée. Et la même commission continue à exiger des « réformes structurelles » en échange d’un léger relâchement du calendrier de l’austérité budgétaire.

Les « réformes structurelles », justement : c’est devenu le dada de la droite socialiste, Valls et Macron en tête. On ne pleurera pas ici sur le sort de certains professionnels de la rente (notaires, administrateurs judiciaires…). Quant à laisser entendre qu’on sortira de la crise en travaillant un peu plus le dimanche… Les sociaux-libéraux sont décidément de moins en moins sociaux. Le rapport franco-allemand rédigé par Henrik Enderlein et Jean Pisani-Ferry en témoigne. Il admet que « nous approchons d’un point de basculement en Europe », avec la  « stagnation », « l’inflation faible », la « fragmentation au sein de la zone euro » qui « n’a pas disparu ». Il plaide timidement pour une relance de l’investissement en Allemagne, qui en manque en effet terriblement. Mais, pour le reste, le rapport préconise un chapelet de mesures libérales : négociation salariale non plus annuelle mais triennale, assouplissement des accords de « maintien de l’emploi », possibilité de déroger plus amplement au code du travail dans les accords de branche [^4]… L’Europe est au bord du précipice. Les dirigeants européens, au mieux, louvoient. Mais ne changent pas de direction. C’est l’hiver. Vivement le printemps des peuples…

[^2]: Déficits et dettes étant rapportés au PIB, ils se réduisent aussi en raison de la hausse de ce dernier.

[^3]: La dette des ménages américains est passée de 145 % du revenu disponible en 2007 à 105 % en 2014.

[^4]: Le rapport se plaint du rôle de la loi en France. Il donne la rémunération des heures supplémentaires en illustration !

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