Le jeu cruel du marché mondial

Les coulisses du monde idéal représenté sur les catalogues de jouets sont peu reluisantes. Les poupées Barbie, princesses Disney et autres figurines Star Wars sont fabriquées en Chine dans des conditions inhumaines.

Thierry Brun  • 18 décembre 2014 abonné·es
Le jeu cruel du marché mondial
© Photo : Shantou / CHINA OUT GETTY OUT / AFP

Les poupées Barbie, les princesses Disney, Lego, Violetta, la Reine des neiges, Transformers, Avengers, Star Wars, les Tortues Ninja, Furby, les jouets high-tech, les jeux de société (Monopoly, Trivial Pursuit, La Bonne Paye, Docteur Maboul) et les bracelets Loom… Voici quelques-unes des nouveautés et des valeurs sûres qui alimenteront l’appétit des enfants à Noël. Selon les professionnels, 2014 s’annonce sous de bons auspices. Et la France étant le premier marché européen, estimé à 3,3 milliards d’euros, les géants mondiaux américain et japonais (les Danois Lego et Playmobil font exception) se frottent les mains comme jamais en cette période : plus de 55 % des ventes de jouets sont réalisées lors du dernier trimestre, et 37 % lors du seul mois de décembre. Les poupées, figurines et autres articles vendus en France sont avant tout un marché dominé par Disney, Mattel (Barbie, Dora, Cars, Fisher-Price, etc.), Hasbro (Mega Blocks, Transformers, Avengers, Star Wars, PetShop, Furby, Monopoly, etc.), Bandai, Playmobil, Lego, Ravensburger et les quelques nouveaux venus du moment qui se partagent les restes. Dans ce secteur très lucratif, 70 % des jouets vendus dans le monde sont fabriqués en Chine. Les donneurs d’ordre y ont leur pré carré : la province du Guangdong, en bordure de Hong-Kong. L’industrie du jouet y est très morcelée, avec plus de 8 000 fabricants, un chiffre qui peut monter jusqu’à 20 000 en comptant les non-déclarés, estime l’ONG chinoise Sacom, sise à Hong-Kong. Les carnets de commandes de ces usines dépendent de géants mondiaux comme Mattel, Disney ou Hasbro, et de mastodontes de la distribution tels que Carrefour.

Qu’en est-il des 4 millions d’ouvriers, en majorité des ouvrières, qui fabriquent ces articles ? Malgré des promesses affichées de bonne conduite auxquelles les fournisseurs sont supposés adhérer [^2], les leaders mondiaux sont régulièrement accusés d’être peu regardants sur les conditions de travail dans les usines chinoises. Ainsi, une enquête menée par les ONG China Labour Watch et Peuples solidaires, de juin à novembre, dans quatre usines produisant des jouets pour Mattel, Disney, Hasbro, Crayola et d’autres grandes marques internationales, a révélé que « les violations des droits humains perdurent dans les usines chinoises »  [^3]. Dans ses enquêtes clandestines, China Labor Watch a relevé, entre autres, « des heures de travail supplémentaires excessives (jusqu’à 120 heures par mois), des salaires impayés, le versement incomplet des cotisations sociales, des conditions de vie et d’hébergement indignes, la pollution de l’environnement, l’absence d’examen médicaux malgré les conditions de travail dangereuses, l’absence ou l’insuffisance de matériel de protection adéquat et la vétusté des machines ». Li Qiang, directeur du China Labor Watch, dénonce « la concurrence sauvage à laquelle se livrent les usines chinoises entre elles » et pointe surtout les entreprises donneuses d’ordre, qui imposent « des prix de production bas à leurs fournisseurs et sous-traitants » et « font du coût du travail, et donc des ouvriers en bout de chaîne, la variable d’ajustement principale de ce système ». En 2007, déjà, une série d’enquêtes du China Labor Watch avait mis en lumière ces violations des droits humains.

L’année dernière, Peuples solidaires avait lancé une campagne de protestation pour pousser l’américain Mattel, numéro 1 du jouet dans le monde, à agir, en s’attaquant à Barbie, son produit phare. Un appel intitulé : « Barbie ouvrière se rebelle contre le géant Mattel ! » décrivait le « scandale d’ouvrières et d’ouvriers spoliés [de] 6 à 8 millions d’euros de salaires et de cotisations sociales impayés », dans six usines Mattel en Chine. « Alors que la multinationale communique sur sa politique de responsabilité sociale (RSE), elle impose à ses fournisseurs des conditions insoutenables, fermant les yeux sur les conséquences inévitables », soulignait Peuples solidaires. Depuis, Mattel n’a pas changé ses pratiques. « Non seulement les dernières enquêtes réalisées par le China Labor Watch ne montrent pas d’amélioration des conditions de travail, mais elles suggèrent même une détérioration », a relevé récemment Peuples solidaires. Noël a sa part de magie et de rêve, mais la réalité est tout autre dans les usines de fabrication de jouets.

[^2]: Des « principes mondiaux de fabrication » sont présentés sur le site Internet de Mattel.

[^3]: « Barbie, Mickey, Optimus Prime, Thomas et ses amis : qui d’autre continue d’exploiter les travailleurs du jouet ? », rapport du China Labor Watch, 18 novembre 2014 (en anglais).

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