L’ISF ne doit pas mourir !

La taxation des revenus est en réalité très peu progressive.

Liêm Hoang-Ngoc  • 4 décembre 2014 abonné·es

Touché par les déclarations d’amour du Premier ministre, le président du Medef réclame désormais la suppression de l’ISF. Or, l’ISF est loin d’être un impôt imbécile, parce qu’il taxe le stock de patrimoine. Thomas Piketty montre comment la croissance du rendement du capital, plus rapide que celle du PIB, s’est accompagnée d’une augmentation des inégalités de revenus, ayant accentué les inégalités de patrimoine. L’Insee indique que les 10 % les plus riches détiennent 48 % du patrimoine des ménages, et que les 1 % les plus riches en détiennent 17 %. Même en cas de révolution fiscale, le taux effectif de l’impôt sur le revenu ne peut taxer l’intégralité du revenu des riches. Sans impôt sur le patrimoine, un important flux de revenus après impôts viendrait incessamment alimenter le stock de patrimoine, lequel grossirait indéfiniment et se concentrerait entre des mains toujours moins nombreuses.

Actuellement, le fait est que les flux des revenus que perçoivent les plus aisés ne font en aucun cas l’objet d’une taxation confiscatoire. Selon l’Insee, le taux d’effort des ménages, qui rapporte la totalité des impôts payés (IR, CSG, cotisations sociales, TVA, etc.) à leur revenu disponible, est en moyenne de 18 % pour les 10 % les plus pauvres, de 23,8 % pour les 10 % les plus riches et de 25 % pour les très hauts revenus. La taxation des revenus est en réalité très peu progressive. L’impôt sur le revenu, seul impôt progressif sur les flux, ne représente que 17 % des recettes de l’État et 2 % du PIB. En revanche, le poids des impôts indirects est important. La TVA, l’impôt le plus injuste, représente ainsi 51 % des recettes de l’État, et la TIPP environ 8 %. Enfin, les contributions et cotisations finançant la Sécurité sociale ne sont pas progressives, mais proportionnelles, tout comme la TVA. Les cotisations sont plafonnées.

En l’état, l’ISF est imparfait parce qu’il frappe les millionnaires plutôt que les milliardaires. « L’outil de travail » et les œuvres d’art en sont exclus. Son produit n’a pas dépassé 4,4 milliards en 2013. L’ISF est en réalité un super-impôt foncier qui existe aussi dans les autres pays sous une autre dénomination. Contrairement à une idée répandue, la proportion des évadés fiscaux redevables de l’ISF est restée stable depuis quinze ans. La proportion de départs ne représente que 0,12 % des redevables à l’ISF. Et un tiers de ces évadés sont revenus en France. Le patrimoine imposable délocalisé ne représente que 0,32 % du patrimoine total et les pertes de recettes ne représentent que 0,63 % des sommes collectées.

C’est désormais « open bar » ! Pierre Gattaz a compris que le putsch idéologique réalisé par l’exécutif permettait au patronat de s’attaquer à tous les totems : le code du travail, les seuils sociaux, les 35 heures, le salaire minimum, les allocations-chômage et désormais l’ISF. Cette campagne prépare d’ores et déjà les esprits. De retour aux affaires en 2017, la droite détricotera les mailles de l’État social que le général de Gaulle avait pourtant contribué à édifier. Plus que jamais, la gauche ne doit pas mourir [^2] !

[^2]: Liêm Hoang-Ngoc est coauteur de La gauche ne doit pas mourir, éd. LLL.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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