Vu du front

Entre tableaux, dessins, photographies et objets, l’Hôtel des Invalides à Paris présente une exposition très riche sur la représentation de 14-18 par ses contemporains.

Jean-Claude Renard  • 22 décembre 2014
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Vu du front
© Image : Georges Scott, Effet d'un obus dans la nuit, 1915

La guerre de Crimée, la guerre de Sécession, les conflits aux Balkans avaient déjà eu leur lot d’images, de représentations, d’illustrations, tantôt sur le mode du dessin, propice au sens tragique et dramatique, tantôt en photographies, constituant les premiers reportages de guerre. Conflit mondial, 14-18 est d’une autre ampleur.

Côté témoin, montrer la réalité du front et l’expérience des combats est alors un enjeu important. C’est exactement le souci de cette exposition, dense et foisonnante, «Vu du front. Représenter la Grande Guerre» , vaste tableau des champs de batailles et de leurs traitements, d’un front à l’autre, d’un belligérant à l’autre, mis en scène entre œuvres picturales, dessins, photographies et différents objets militaires.

A partir de 1914, la presse a besoin d’illustrer ses pages. Ce sont des images héroïsantes, qui n’ont rien à voir avec la réalité. L’ensemble des armées a recours aux mêmes procédés. On entretient le culte du chef, on célèbre le courage et la vaillance de ses hommes. Si Félix Vallotton participe de cette valorisation de la guerre dans ses gravures, 1914, marque aussi le début des agences photographiques et des correspondants de guerre. Reste que l’accès aux premières loges est difficile pour la presse et réservée plutôt aux militaires, aux services de gendarmerie, aux services d’identité judiciaire, tandis que les soldats commencent à s’emparer du témoignage par la photographie. Tel Louis Danton, photographe amateur, construisant un reportage personnel sur la guerre, la sienne, nourri des premiers combats auxquels il participe. Une démarche et un parti pris inédit. Sans concession.

Edouard Vuillard : L'Interrogatoire, 1917

Le reste du temps, les points de vue sont différents. Forcément. La presse britannique montre la fraternisation ; cette fraternisation absente de la presse française. De son côté, l’Allemagne diffuse des représentations du camouflage des Poilus. C’est l’un des jeux du chat et de la souris entre les armées, entre les diffuseurs et les censeurs. La guerre de position change un peu la donne : l’État-major se charge de représenter le combat, l’attente, les heures suspendues dans le temps. Elle oriente. A vrai dire, elle en a le temps ; la représentation se fait à la verticale, au diapason des tranchées (Georges Victor-Hugo). Mais surtout, la plupart du temps, les moments de combat restent dans l’interprétation. Ce sont seulement des instants furtifs de combats à leur début, à la marge, presque statiques, chez André Devambez, Eric Kennington ou Henri Camus. A l’exception Karl Lotze, Otto Dix ou de George Scott, couchant à l’encre et au pastel la déflagration d’un obus, la violence du feu est absente, sinon illustrée après coup. Comme sont absents les traumatisés, ces soldats au comportement «inquiétant» , ces «malades de la volonté» qui n’entendent pas retourner au front, tandis que le pouvoir médical s’obstine dans son mot d’ordre : «Vouloir, c’est pouvoir.»

La réalité viendra plus tard, beaucoup plus tard. Le travail d’André Masson en est un exemple : en 1971, plus d’un demi-siècle après la Grande guerre, avec une dizaine de dessins, il livrera au crayon son expérience personnelle, revenant sur son évacuation du Chemin des Dames en 1917, blessé par un éclat d’obus. Une expression de son traumatisme qui a valeur d’universel, hors du temps.

Vu du front. Représenter la Grande Guerre, Musée de l’Armée, Hôtel des Invalides, 129 rue de Grenelle, Paris VIIe, jusqu’au 25 janvier.


Illustration - Vu du front

Culture
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