Grèce: les scénarios du possible

Nombreuses sont les embûches qui attendent Syriza pour mettre en œuvre son programme. Tour d’horizon des cas de figure envisageables après l’élection du 25 janvier.

Michel Soudais  • 22 janvier 2015 abonné·es
Grèce: les scénarios du possible
© Photo : AFP PHOTO / Angelos Tzortzinis

Syriza pourra-t-elle mettre en œuvre ses ambitions ? Quelles seront les marges de manœuvre d’un gouvernement conduit par Alexis Tsipras, son chef de file ? La réponse à ces questions dépend pour une part du résultat des élections législatives du 25 janvier, et pour beaucoup de l’attitude des dirigeants de l’Union européenne (UE) dans l’inévitable bras de fer qui s’engagera immédiatement entre Bruxelles et le nouveau pouvoir à Athènes. Plusieurs scénarios sont envisageables.

Premier cas de figure : Syriza, que tous les sondages donnent en tête, emporte la majorité des 300 sièges à la Vouli, le Parlement grec. C’est l’objectif de la formation d’Alexis Tsipras, afin d’avoir les coudées franches pour gouverner le pays, au moins sur le plan intérieur, et s’assurer une forte légitimité démocratique dans les négociations avec la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Il n’est pas inatteignable. Dans le système électoral grec, 250 députés sont élus à la proportionnelle dans des circonscriptions assez vastes, et le parti qui arrive en tête obtient un « bonus » de 50 députés. La répartition des sièges s’opère toutefois uniquement entre les partis ayant obtenu plus de 3 % au niveau national. En conséquence, le score qui permet d’obtenir la majorité des sièges au Parlement varie en fonction du nombre de suffrages qui se seront portés vers des partis éliminés. S’ils totalisent 16 %, Syriza peut obtenir 151 députés avec 34 % des suffrages. Ce scénario rose n’est toutefois pas le plus probable. Dans le cas où Syriza serait contraint de constituer un gouvernement de coalition, trouver des alliés ne sera pas aisé. Le parti communiste grec (KKE), crédité de 4 à 6 %, refuse toute discussion avec ceux qui acceptent l’UE et la monnaie unique. La Gauche démocratique (Dimar), une scission de Synaspismos qui a accepté l’austérité et les mémorandums, pourrait faire l’appoint, à condition… d’avoir des élus. Ultra-dominant jusqu’en 2011, le parti socialiste (Pasok) lui-même flirte avec les 3 %. Reste La Rivière (To Potami), un parti de centre-gauche créé pour les européennes de 2014 qui avait obtenu 6,6 % des voix. Mais ce dernier a refusé jusqu’ici de s’allier avec Syriza, qui, à ses yeux, met en danger la participation de la Grèce à la zone euro. Ce scénario, qui au mieux obligerait Syriza à s’écarter sensiblement de son programme, et au pire déboucherait sur l’impossibilité de former un gouvernement, a bien évidemment la faveur des capitales européennes.

Ces dernières, faute de pouvoir raisonnablement espérer une victoire des conservateurs de la Nouvelle Démocratie, s’emploient depuis trois semaines à minimiser l’impact d’une victoire de Syriza, rappelant incessamment qu’elle devra « respecter les engagements pris par son pays », les traités, etc. Une manière de poser des bornes à l’application de son programme, avant la confrontation entre le nouveau pouvoir grec et ses pairs européens. Celle-ci interviendra très vite : les négociations avec la troïka, interrompues en décembre pour cause d’élections, doivent reprendre en février. La Grèce a impérativement besoin de se refinancer. En contrepartie, la troïka a présenté ses exigences. Selon Stathis Kouvélakis, professeur de philosophie politique au King’s College de Londres et membre du comité central de Syriza, il s’agit d’ « un nouveau paquet de 19 mesures draconiennes – énième baisse des pensions, nouveaux licenciements de fonctionnaires… –, agréé par le gouvernement sortant mais inacceptable du point de vue de Syriza ». La situation n’est pas sans rappeler celle dans laquelle se trouvait François Hollande à son élection, avec cette fois des conséquences démultipliées. « Soit on est dans une logique de désobéissance, soit le gouvernement sera contraint de gérer à la marge », résume Stathis Kouvélakis. Il prédit dans ce cas « un désastre »  : « Hollande s’est effondré en un an. Si Syriza fait du Hollande, il s’effondrera en un mois. » Et avec lui les espoirs de la gauche alternative européenne d’en finir avec les politiques néolibérales d’austérité sur le continent.

Pour éviter ce scénario noir, Syriza n’a, selon lui, qu’une solution : désobéir. C’est-à-dire mettre en œuvre sans délais ses engagements sur une remise en cause du noyau dur du mémorandum (hausse du Smic et des pensions, rétablissement d’une législation sociale, suppression des taxes de racket qui pèsent sur les couches populaires et moyennes, mesures humanitaires d’urgence). « C’est cela qui peut permettre à Syriza d’avoir le soutien populaire dont il aura besoin pour faire plier les responsables européens », assure Stathis Kouvélakis. Un pari incertain. Mais jamais tenté jusqu’ici.

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Athènes, capitale de la gauche
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