Un homme et une fable

David Murgia joue avec brio un « discours » provocateur de l’Italien Adriano Celestini.

Gilles Costaz  • 22 janvier 2015 abonné·es

Un auteur italien, Ascanio Celestini, vient à Paris pour nous gratifier d’un Discours à la nation  ! C’est évidemment un anti-discours, une provocation contre la pensée dominante, le pompeux du langage officiel et les conventions du spectacle. Ce Celestini est loin d’être un inconnu. Cinéaste et romancier, il s’inscrit dans la marginalité politique de son pays et voit ses pièces souvent jouées, même en France : Fabbrica, plein de tendresse pour le monde ouvrier, a été monté aux Abbesses par Charles Tordjmann, Radio clandestine. Mémoire des fosses ardéatines, sur un massacre de plus de trois cents Italiens en 1944, a été joué et édité à Montpellier (Espaces 44). Il est venu mettre lui-même en scène cet autre texte au Rond-Point, en tenant compte du projet de l’acteur David Murgia, qui assure avec lui la conception du spectacle et joue en solo.

Solo, pas tout à fait. Il y a aussi un musicien, Carmelo Prestigiacomo, qui ponctue le discours de variations rêveuses et rageuses sur une guitare électrique. Mais l’orateur occupe le centre d’une scène presque vide et fermée par quelques cageots. L’homme nous dit qu’il a toujours un revolver avec lui et qu’il ne s’en sert que pour le poser sur les tables de réunion, juste pour avoir la paix. Il avait déclaré en ouverture que les armes se vendaient mieux que le pain mais qu’il faisait un formidable commerce du pain, dont il avait pris le monopole. C’est la drôlerie complexe, jamais droite, de cette écriture qui prêche la méchanceté pour dire la bonté. Le personnage qui s’exprime n’est jamais le même ; il est tantôt victime tantôt bourreau. Mais, au fond, tout est réquisitoire contre le cynisme, tout est jeu avec le cynisme. L’orateur situe le régime politique dont il parle dans un pays où il pleut tout le temps. Il y a donc ceux qui ont un parapluie et ceux qui n’en ont pas : c’est son image de la lutte des classes. De génération en génération, des familles bénéficient d’un pépin et d’autres ne parviennent jamais à en obtenir un. Dans ces conditions, faut-il en vouloir à ceux qui ne respectent pas le système et pratiquent le vol ? Faut-il montrer du doigt les voleurs qui sentent mauvais et ont sur les doigts les traces des poulets dérobés, et saluer ceux qui mettent la respectabilité de leur côté, s’enrichissent grâce à toutes les roueries de l’économie et du vol à l’échelle mondiale et ont des mains manucurées ? Ces questions surgissent d’un ton blagueur, masquant une philosophie qui se situerait du côté de l’anarchisme et de l’altermondialisme.

Celestini jongle avec les points de vue et les rôles. Toujours souriant et affable, David Murgia – étonnant d’aisance, d’une vitesse d’élocution remarquable – déroule cet humour qui prend toujours à contre-pied et détourne les techniques du récit populaire. Celestini est un fabuliste moderne. Il alterne un récit du type fait divers (une femme se plaint de la présence d’un cadavre gênant devant la porte de son immeuble) et de courts contes finissant par une morale – les spectateurs n’oublieront pas sa fable de la chèvre, du chou et du loup. « Éternels, le bâton et la carotte », conclut-il au terme de cette harangue qui, peut-être trop joueuse, nous plaît moins que les précédents textes de l’auteur, mais qui, bien assénée, est d’une différence réjouissante.

Théâtre
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