Le coup d’État financier de la BCE contre la Grèce

La décision des banquiers centraux menace d’asphyxier financièrement l’État grec pour obliger le gouvernement d’Alexis Tsipras à renoncer à ses engagements.

Michel Soudais  • 5 février 2015 abonné·es
Le coup d’État financier de la BCE contre la Grèce
© Photo: HANNELORE FOERSTER / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES/AFP

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé dans un communiqué mercredi soir qu’elle avait décidé de priver les banques grecques d’une de leurs sources de financement, avec l’objectif affiché de faire plier le gouvernement d’Alexis Tsipras ou de précipiter l’asphyxie financière de l’État grec.
Cette suspension décidée par le conseil des gouverneurs « est conforme aux règles de l’eurosystème » , assure le communiqué de l’institution, publié quelques heures après que le nouveau ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, avait évoqué des « discussions fructueuses » avec le président de la BCE, Mario Draghi. Derrière les risettes diplomatiques, l’épreuve de force est donc bel et bien engagée. Et la BCE a tiré la première.

L’institution, non élue , avait autorisé les banques grecques à **** donner comme garanties les titres grecs, à condition que le gouvernement grec suive le programme de la troïka (BCE, Commission européenne, FMI). Elle justifie, dans son communiqué, sa décision de ne plus considérer ces titres comme une garantie sur la simple « présomption (…) qu’il n’est pas possible à l’heure actuelle d’anticiper une issue positive » aux négociations sur le programme d’aide international dont bénéficie Athènes. La décision de la BCE intervient en effet alors que Yanis Varoufakis et le nouveau Premier ministre grec, Alexis Tsipras, faisaient une tournée européenne pour tenter de renégocier la dette grecque, conformément au programme de Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier. En anticipant le résultat de ces négociations, la BCE outrepasse son rôle, semble-t-il à la demande expresse de la Bundesbank, et endosse un rôle politique bien éloigné de son statut d’institution « indépendante » inscrit dans les traités. En clair, elle sanctionne sans appel le gouvernement grec pour avoir refusé de se soumettre à la troïka, refusé d’être contraint d’appliquer la même politique que son prédécesseur.

Certes* *« la BCE ne « coupe » pas le robinet à la Grèce » , du moins pour le moment, comme le note La Tribune  : « Les banques grecques pourront toujours bénéficier de l’accès à l’aide à la liquidité d’urgence (ELA) qui, cet après-midi, a été confirmé jusqu’au 28 février , expliquent nos confrères. Avec cet accès, les banques pourront continuer à fonctionner normalement, mais pendant 25 jours. Pas un de plus. Surtout, la BCE peut couper cette aide normalement “temporaire” à tout moment. »
Mais sa décision ne s’apparente pas moins à un coup d’État financier puisqu’elle vise, contre la volonté clairement exprimée dans les urnes, à intimider le nouveau pouvoir à Athènes, qui n’aura plus les moyens de se financer jusqu’à fin juin comme il l’escomptait. La BCE veut faire plier Athènes comme elle avait réussi à obtenir l’abdication de l’Irlande et de Chypre.

Et le nouveau pouvoir grec a bien saisi la nature du message. « La Grèce ne se soumettra à aucun chantage » , ont réagi les dirigeants à Athènes ce jeudi matin.

« La Grèce ne souhaite exercer de chantage sur personne mais n’a pas l’intention d’accepter elle-même un chantage » , a indiqué une source gouvernementale aux médias.

La même source a réaffirmé qu’en dépit de la «pression» que représente la décision de la BCE, «la liquidité des banques grecques est totalement assurée» grâce aux autres canaux de liquidités toujours disponibles.

A ce jour, si les Vingt-huit ne ramènent pas la BCE à la raison (et rien n’indique qu’ils en aient la volonté, François Hollande sans doute moins que d’autres), la BCE ne laisse guère d’autre choix au gouvernement d’Alexis Tsipras que l’austérité ou la sortie de l’euro.
Pour l’Europe, l’heure de vérité a bel et bien sonné.

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Monde
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